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venus de Poltava pour travailler aux usines de sucre, proclament tout haut dans les rues qu’ils ne tarderont pas, eux non plus, à massacrer tous les Juifs du pays. Notre sainte Communauté est atterrée de douleur par cette nouvelle épreuve que le Seigneur lui envoie pour ses péchés. Pères et enfants se lamentent. Jusqu’à quand, Seigneur ? Jusqu’à quand ?… Par le même courrier, je vous adresse une petite offrande au nom de la sainte Communauté de Smiara, en vous priant de la transmettre au saint Rabbin faiseur de miracles. En ces jours de tribulations, tous les yeux des fidèles de la Communauté se tournent vers lui avec angoisse et le supplient de multiplier ses prières en leur faveur, afin qu’ils soient épargnés au sein de tout Israël.

« Celui qui vous estime et vous aime selon votre haute valeur,

« Rabbin Benjamin Éliézer. »


Pendant cette lecture, les voitures et les carrioles arrivaient dans la cour. Plus de vingt Juifs maintenant, et puis bientôt cinquante entouraient Reb Mosché, criant et s’exclamant à chaque phrase de Reb Eliézer, et s’excitant mutuellement à la peur. Alors, les flèches de bouleau et les cercles de barrique apparurent bien fragiles devant l’effroyable menace suspendue sur les têtes ! Et dans le verger du Rabbin, où les Juifs s’en allaient par groupes causant et gesticulant, en attendant la prière de min’ha, les pruniers et les poiriers entendirent, ce soir-là, les mêmes gémissements et les mêmes plaintes amères que les saules de l’Euphrate dans le long exil d’autrefois.

Prier, jeûner et dire les psaumes, telles furent de nouveau les paroles du Rabbin Miraculeux, quand on lui donna connaissance de la lettre de Reb Eliézer.

— Avec votre permission, mon père, lui dit alors Reb Mosché, je me rendrai demain chez le comte Zavorsky. Dans le danger qui nous menace, lui seul pourra nous renseigner avec un peu d’exactitude. Il est, vous le savez, le grand ami du sous-gouverneur de Kiew, et peut-être que nous pourrions obtenir, grâce à lui, des Cosaques pour nous protéger.

À ce mot de Cosaques, le pieux vieillard, difficile pourtant à troubler, leva sur l’aîné de ses fils le regard rempli de surprise et d’une vague épouvante qu’il aurait eu, si Reb Mosché