Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses flèches. Ses dix petits-enfants, avec leurs beaux caftans de soie, leurs bottes neuves et leurs chapeaux ronds d’où s’échappaient les papillotes, l’entouraient avec leurs arcs et lui faisaient une charmante couronne. Le vieux cocher Reb Noë avait avancé sa voiture ; le Zadik y prit place avec ses petits-fils ; et les chevaux à peine domptés que Reb Mosché avait achetés récemment, s’élancèrent sur la piste de terre notre à travers l’immense plaine de blé.

Aussitôt les chars à bancs, les landaus et les carrioles s’ébranlèrent hors de la cour dans un indescriptible désordre de roues et de timons emmêlés, pour bondir à la suite des chevaux insaisissables du Rabbin Miraculeux. Sur la plaine toute unie commença une course folle, pleine d’excitations et de cris, où chaque conducteur soutenu, exalté par tous les gens qu’il emmenait dans sa charrette, mettait toute son âme à dépasser le véhicule qui filait devant lui, et puis l’autre et l’autre encore, avec cette fièvre d’Israël d’être toujours le premier.

Au bout de quinze kilomètres, les chevaux et les cochers hors d’haleine finirent par s’arrêter à la lisière d’une forêt ; et pendant que les femmes sortaient les provisions des voitures, les hommes et les jeunes garçons gagnèrent une clairière du bois à la suite du Rabbin Miraculeux. Celui-ci, se tournant alors vers les quatre points cardinaux, tira quatre flèches de son arc. Les autres Juifs l’imitèrent, en lançant leurs quatre flèches aux quatre points de l’horizon. Et tout cela n’était pas fait, comme on pourrait l’imaginer, pour transpercer d’une façon symbolique les massacreurs d’Elizabethgrad, mais pour fêter, en ce trente-troisième jour après Pâques, par un rite cabalistique dont la signification s’est perdue au cours des âges, l’anniversaire de Reb Simon ben Jocchaï, le plus illustre des trois docteurs qui, sous le regard du grand prophète Elie et le bruissement d’ailes des Anges, rédigèrent, dans la cave ténébreuse le Livre de la Splendeur.

La journée était admirable. Du fond de l’horizon, les blés en longues vagues changeantes venaient battre la lisière du bois ; de fraîches pousses d’un vert tendre rajeunissaient les noirs sapins ; et sur les chênes tardifs, les jeunes bourgeons expulsaient les vieilles feuilles obstinées à survivre à la saison morte. Quand tous les archers en caftans eurent lancé leurs quatre flèches, chacun s’assit dans la clairière autour des