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Le Paris que retrouve le jeune homme, se soucie moins que jamais, — en cette année 1892, — de si grands devoirs. L’individualisme qui n’était qu’une croisade en 1887, a maintenant place conquise. La table du Pascal Rouvray de la Croisée des Chemins, à elle seule, nous le révélerait : de l’Homme Libre de Maurice Barrès à la Société mourante de Jean Grave, de l’égotisme à l’anarchisme, tout passe sur cette table. Je n’ai jamais rien lu qui peigne mieux que les premières pages de ce beau roman, notre génération arrivée à sa majorité. Le jeune avocat rédacteur au contentieux du P.-L.-M. est revenu rallier les bataillons de l’individualisme littéraire. Le voici qui publie son premier livre Âmes Modernes. La Revue blanche et le Mercure, revues d’avant-garde, ont volontiers publié les fragments de l’étude qui, plus que toutes les autres, arrête le lecteur, l’enthousiaste article sur Ibsen où Nora est, — par le futur auteur des Roquevillard ! — approuvée d’avoir, pour vivre sa vie, abandonné mari et enfants. Le recueil, tout entier conçu dans cet esprit, révèle, par ailleurs, une âme si jeune, si sincère, si enthousiaste qu’on ne sait si l’on doit regretter ce démon qui certes, chez ce jeune homme de vingt-trois ans, n’est point celui de midi, — à tout prendre le seul tout à fait dangereux, — mais celui des premières heures qui, s’il ne nous asservit pas au delà de la trentaine, ne nous pousse dans les voies étrangères à notre âme que juste assez pour nous permettre d’en mieux garer un jour nos neveux. Un joli conte à talons rouges, pimpant et douloureusement pervers, — Jeanne Michelin : le Savoyard va-t-il décidément s’égarer en cette voie ? Nous y gagnerons sans doute un aimable chroniqueur ; nous y perdrons à coup sûr un fécond écrivain.

La vie nous manœuvre plus que nous ne la conduisons ; mais c’est neuf fois sur dix, pour notre bien. Car, nous remettant sur le penchant naturel d’où nous nous écartions, elle nous ramène ainsi à nos vraies fins.


À l’automne de 1896, l’homme de bien qui avait guidé ses premiers pas est arraché au travail par la mort : cruel deuil qu’aggrave un cruel problème. C’est celui qui se posera dans la Croisée des Chemins, — l’un des romans les plus vécus de M. Henry Bordeaux, — devant Pascal Rouvray. Déjà le jeune