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connu. Cet avocat, à la fois solide et ardent, tout au devoir, et tout à la vie, était né chef ; père incomparable, il n’a laissé à ses huit enfants que de puissants exemples. En 1870, déjà père de quatre petits enfants, il avait voulu s’engager et avait fait la campagne. Ce n’est pas à son foyer qu’une telle résolution eût rencontré la moindre objection. Tous les lecteurs de M. Bordeaux savent ce qu’est une femme forte : c’est celle que peint l’Écriture. Cependant, nous l’ayant fait deviner à travers ses admirables « mères, » il hésite, pris d’une sorte de pudeur filiale, à nous la livrer en traits précis dans sa « Maison : » « Si je veux m’approcher, je ne trouve plus de mots. » Et à peine indique-t-il d’un trait cette douceur qui recelait tant de force : « .Mon père dont l’autorité semblait inébranlable se tournait vers elle, comme s’il lui reconnaissait une puissance mystérieuse. »

Cinq fils, qui ont tous marqué, — chacun en sa carrière : — un ingénieur qui a laissé de ses voyages hors d’Europe des récits pleins de vie; un autre ingénieur, qui, avant la guerre, a, l’un des premiers, deviné et décrit le rôle de l’aéroplane ; ce jeune avocat, qui, devenu bâtonnier à trente ans, continue à son barreau de nobles traditions ; ce général Bordeaux, qui, après tant de campagnes lointaines, défendait, le 23 juin 1916, en avant de Souville, une des portes de Verdun et la sauvait ; et cet écrivain, qui demain sera « reçu » à l’Académie ; une jeune sœur de Charité, qui récemment mourait en Chine, tandis que ses deux sœurs transportaient en des foyers nouveaux les enseignements reçus : mieux que tout ce qu’a pu écrire un fils plein de gratitude, une telle couronne nous édifie. Nous savons à quelle source un Bordeaux a puisé ses qualités, en quelle terre s’enfoncent ses racines. Le romancier de la Famille ne s’est point improvisé ; nous savons où est la garantie de la sincérité qu’il apporte dans son art.

À un tel foyer un enfant s’élève sans désordre, mais sans tristesse. Les enfants de familles nombreuses sont, en thèse générale, pleins de gaîté. De fait, son enfance dans la grande maison parait avoir été gaie. L’était-elle moins au collège ? M. Bordeaux ne parle guère de ce collège que pour nous révéler, détail imprévu, qu’il y joua dans la Fille de Roland le rôle de Berthe. Ce devait être une vigoureuse Berthe, car, par ailleurs il nous avoue que, « pourvu d’une bonne santé,» il « en enra- geait à cause de la couleur dont elle enluminait ses joues. »