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ainsi les céréales dont ils ont besoin, ils ne nous feront pas concurrence sur d’autres marchés où nous nous approvisionnerons d’autant plus aisément.

C’est sur ces considérations, moins critiquables que les autres chapitres, que se termine le volume. M. Keynes y joint des prédictions sur les destinées de l’Europe, qu’il juge en voie de transformation profonde. Il est sévère pour ceux qui sont à cette heure à la tête des affaires publiques ; il les déclare incapables de s’occuper de questions autres que celles qui concernent le bien-être matériel immédiat. A aucune époque, ajoute-t-il, notre génération n’a eu moins souci de l’ « universel » qu’aujourd’hui, et il termine son livre par cette phrase mystique : « La véritable voix des générations nouvelles ne s’est pas encore fait entendre, et l’opinion de ceux qui se taisent n’est pas formée. »

Nous sommes loin des critiques ardentes auxquelles l’auteur a soumis les stipulations d’un traité ayant partiellement pour objet le règlement de ces questions de bien-être matériel dont il blâmé ses contemporains de faire leur unique souci. Pour notre part, nous n’avons pas lu sans émotion les dernières pages dans lesquelles on sent l’effort d’une belle intelligence, qui cherche à deviner de quoi demain sera fait. Mais nous n’en sommes que plus sévères pour la campagne menée contre le traité.

Ce n’est pas lui qui est responsable des incertitudes de l’heure présente ; ce n’est pas par lui que tant d’hommes sont troublés au point de n’avoir pas encore repris leur équilibre ; ce n’est pas à cause de lui que beaucoup de travailleurs, jugeant mal la situation, se refusent à voir que le seul remède aux difficultés dont nous souffrons, c’est le redoublement de l’effort individuel. Attribuer aux stipulations de Versailles le malaise dont l’Europe souffre en ce moment et qui ne s’explique que trop aisément par l’effet d’un bouleversement sans précédent et l’impossibilité d’en guérir en un jour les conséquences, c’est accuser le médecin d’avoir inoculé au patient la maladie qu’il vient soigner à son chevet.


VI

Que M. Keynes nous pardonne de le lui dire en toute sincérité : il a commis une mauvaise action envers son pays, envers les alliés de son pays. Quand on a occupé des fonctions comme