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respect. Cette conception inspirait, il y a un siècle, les décisions du Congrès de Vienne, qui, pour arriver à ce résultat théorique, faisait exactement le contraire de ce qui s’est pratiqué à Versailles, c’est-à-dire découpait sur la carte des royaumes, sans s’inquiéter le moins du monde des aspirations de leurs habitants ; il traitait un tel facteur de quantité négligeable et arrondissait les territoires en faisant de l’arithmétique et non de la justice politique. Des critiques moins aveugles que M. Keynes ont au contraire reproché au Pacte de 1919 d’avoir, sous l’empire de préoccupations d’ordre moral, créé des États de dimensions trop différentes les unes des autres : mais cette disparité même est un hommage rendu aux principes de droit, dont les « Quatre puissants » (The big four) se sont inspirés, à l’encontre des mobiles qui dictaient jadis les combinaisons d’un Metternich.

Extensions impérialistes… Où sont-elles ? nous voudrions que l’auteur nous en citât une seule résultant du traité. Il ne manquait pas en France de voix qui s’élevèrent pour réclamer la frontière intégrale du Rhin, le retour à la mère-patrie de contrées qui, à diverses époques de l’histoire, en avaient fait partie. Nous pouvons énumérer les villes et les campagnes où le souvenir de l’administration française est resté vivant et dont les habitants célèbrent encore les bienfaits de notre civilisation, de nos mœurs, de nos principes. La Conférence a-t-elle écouté ces revendications ? A-t-elle fait autre chose que nous rendre uniquement les départements qui nous avaient été arrachés en 1*870 et qui n’avaient pas cessé, depuis un demi-siècle ; de protester contre la violence qui leur était faite ?

Passons aux autres reproches de M. Keynes. La Conférence, dit-il, s’est préoccupée « d’affaiblir un ennemi puissant et dangereux. » Est-ce là vraiment un grief à faire valoir ? Lorsque le globe tout entier a été ébranlé dans ses fondements par une agression comme celle de juillet 1914, est-il interdit au vainqueur de prendre des précautions pour éviter le retour de semblables catastrophes ? Et n’est-ce pas au contraire un devoir pour lui que de s’efforcer de mettre le perturbateur de l’ordre mondial hors d’état de nuire ? Le reproche que M. Keynes devrait plutôt adresser aux plénipotentiaires serait de n’avoir pas pris de mesures assez efficaces pour assurer ce désarmement. L’Allemagne a encore sur pied des effectifs bien supérieurs à ceux qui ont été fixés ; elle détient des armes et des