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mensonge ? Allons-nous nous laisser prendre à l’hypocrisie de leurs doléances, à leur prétendue incapacité de tenir leurs engagements ? En vérité, est-ce à nous, à nous substituer aux vaincus et à mesurer avec attendrissement leurs facultés de paiement, en nous alarmant à l’idée d’avoir dépassé d’une ligne la limite de cette capacité ? Rien n’est d’ailleurs plus difficile, en toute bonne foi, que d’opérer cette détermination. Les possibilités de production d’un peuple ne dépendent pas seulement des moyens matériels dont il dispose ; elles sont fonction de la volonté de travail et d’effort qu’il déploie. Or c’est cette volonté qui doit exister chez le vaincu comme d’ailleurs aussi chez le vainqueur : mais il faut que le premier sache que nous veillerons à ce qu’il ne se dérobe pas à sa tâche. Elle est étendue, nous n’en disconvenons pas ; mais elle est loin de dépasser les forces germaniques. C’est ce que nous démontrerons dans la partie de notre étude qui sera consacrée au tableau de la situation économique de l’Allemagne, emprunté en grande partie à ses propres écrivains.

Nous nous bornerons à citer aujourd’hui l’opinion d’une des plus hautes autorités américaines, celle de l’éminent professeur Taussig de l’université de Harvard, qui est un maître en matière financière et qui a pris part aux travaux de la Commission des États-Unis à Paris. A la dernière session de l’Association économique américaine, tenue à Chicago en décembre 1919, M. Taussig, dans son rapport sur « les paiements de l’Allemagne au titre des réparations, » a déclaré que, si le fardeau était lourd, il ne dépassait pas les forces de ce pays. Examinant l’ensemble de la situation, M. Taussig estimait que la France et plusieurs de ses alliés avaient besoin de recevoir immédiatement de l’Allemagne des titres de rente négociables, afin de pouvoir les aliéner et se procurer de la sorte les ressources nécessaires à la reconstitution des régions dévastées. Il exposait le mécanisme du commerce extérieur au moyen duquel l’Allemagne sera en mesure de verser annuellement aux Alliés un montant d’un milliard de dollars, c’est-à-dire, au pair 5 milliards, au change actuel 16 milliards de francs. Nous aurons à nous souvenir de ce chiffre quand nous discuterons ceux de M. Keynes. Ce dernier ne récusera peut-être pas un témoignage venu de l’autre côté de l’Atlantique.

Il est une autre considération que nous ne devrions jamais perdre de vue et qui semble s’être déjà évanouie dans les