davantage, car les sources profondes de l’autorité morale sont dans la conscience humaine, dans la foi qui va jusqu’à sacrifier sa vie à un but supérieur ; il faut un idéal. Cet idéal, nos officiers l’avaient.
Pendant quarante-trois ans que cette armée a travaillé sans relâche, les anciens ont répété aux jeunes : « C’est toi qui reprendras l’Alsace et la Lorraine, » et, alors même que dans la nation le souvenir paraissait s’estomper, alors que des voix sacrilèges ou inconscientes parlaient d’oubli, dans nos écoles, dans nos casernes, on rappelait la protestation enregistrée par l’Assemblée nationale. Nos jeunes officiers choisissaient leur carrière pour rentrer un jour à Metz et à Strasbourg. Tous, au cours de cette carrière, passaient quelques années dans les corps d’armée frontière : là ils vivaient sous le coup des consignes de couverture ; ils allaient manœuvrer sur les sommets des Vosges ou sur les belvédères des côtes de Meuse : arrêtés devant l’écusson de fonte où s’étalait l’aigle des Hohenzollern, devant la borne sournoise dont une des faces portait l’initiale du Deutschland, ils apercevaient à leur pied la plaine d’Alsace ou à l’horizon la flèche de la cathédrale de Metz et ils emportaient au cœur cette vision de Terre Promise.
A mesure qu’ils avançaient en âge, les études les attiraient davantage, — car ces générations ont beaucoup travaillé, — et ces études se ramenaient toujours à l’histoire militaire. On se lasse vite des spéculations purement déductives, on sent que la pensée tourne à vide ; les travaux scientifiques sont plus prenants, mais leur sécheresse ne permet généralement pas de prolonger outre mesure l’effort ; le Français est imaginatif et l’officier veut voir vivre ces combattants qu’il compte manier un jour ; il va à l’étude de l’histoire, avec les récits des campagnes toujours plus détaillés, avec les mémoires, les carnets de route. Dans ce genre, Alexandre et César, voire Gustave-Adolphe ou Frédéric, le laissent indifférent ; ce sont les guerres de la Révolution et de l’Empire, c’est 1870 qui le passionnent. Il y retrouve le père, le grand-père, l’ancien dont on parlait encore dans son pays, et le volume s’éclaire du portrait qu’il a vraiment vu, de l’anecdote qu’il a entendue lui-même. L’histoire militaire devient vraiment « les morts qui parlent, » et le chapitre s’achève en un geste de rage, s’il est intitulé « Sedan, » en une bouffée de fierté s’il est intitulé « Iéna. »