Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais la France elle-même ne comprend-elle pas qu’elle ne sera jamais dédommagée si l’Allemagne tombe dans le bolchévisme ou si elle s’effondre dans une catastrophe financière? Faire vivre l’Allemagne, c’est la première condition du salut européen. Commençons donc par ne pas lui imposer de trop lourdes charges. Que diriez-vous de cinquante milliards à nous partager entre Alliés? Ne serait-ce pas un chiffre rond? Il est vrai que, d’après le traité, l’Allemagne doit réparer toutes les ruines qu’elle a faites en France et il est vrai aussi que ces ruines représentent une perte bien supérieure à votre part éventuelle des cinquante milliards. Mais un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Si vous étiez bien inspirée, ma chère France, vous accepteriez une fraction de ces cinquante milliards et vous vous réconcilieriez avec l’Allemagne. On illuminerait peut-être à Berlin, mais la paix redescendrait sur la terre. Ne nous dites pas que le calcul de la créance alliée doit être fait par la Commission des réparations et que le traité, voulant une évaluation sérieuse, a laissé à cette Commission, pour achever son travail, un délai qui n’expire pas avant le 1er mai 1921. Mien ne nous empêche de devancer ce délai : ne sommes-nous pas le Conseil suprême? Ne nous dites pas que la Commission des réparations elle-même entend sans cesse les Allemands et tient compte de tout ce qu’il peut y avoir de juste dans leurs observations. Nous sommes beaucoup plus à l’aise à San Remo qu’à Paris pour causer avec d’anciens ennemis et pour apprécier raisonnablement la créance alliée. A Paris, ne souffle pas assez l’esprit de transaction...

M. Millerand a résisté de toutes ses forces à ces propositions amicales. Mais de telles instances révèlent, hélas! entre les gouvernements alliés et la France un malentendu déplorable qui dure depuis quelques semaines et qui ne pourrait, s’il durait, profiter qu’à l’Allemagne. Ainsi, nous aurons, pendant quarante-quatre ans, souffert en silence d’une affreuse mutilation ; nous aurons subi, sans vouloir les relever, les provocations continuelles de l’Empire des Hohenzollern; nous aurons été victimes de l’agression la plus inique ; nous aurons donné au monde l’exemple d’une bravoure et d’une persévérance sans égales ; nous aurons sacrifié, non pas seulement à notre propre défense nationale, mais à la cause universelle de la justice quatorze cent mille de nos enfants; nous aurons vu notre sol foulé aux pieds par les armées ennemies, nos contrées les plus industrielles transformées en champ de bataille de l’humanité, les troupes de toutes les nations installées dans nos villages ruinés comme dans les bastions du