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L’image que certains d’entre eux se sont faite de nous depuis l’armistice et qui est, à n’en pas douter, le funeste produit d’une grave erreur d’optique, ne se rectifiera pas, en effet, toute seule, automatiquement, dans la clarté de l’évidence; il faut que nous contribuions nous-mêmes à ce redressement et que nous prenions la peine de nous montrer enfin tels que nous sommes. « Le génie de la France, a écrit Michelet, c’est la propagande. » Et certes, dans le sens où il entendait le mot propagande, il avait raison. La France a toujours été et elle reste le porte-parole écouté des grandes idées qui conduisent le genre humain. Mais elle est d’une maladresse touchante dans l’art de mettre en valeur ses qualités et ses actions. Depuis quelques mois, c’est de l’Allemagne vaincue qu’a rayonné toute la propagande et nous pouvons maintenant mesurer, chaque jour, les progrès du mal qui nous a été fait. Pour un trop grand nombre de journaux américains, pour un trop grand nombre de journaux italiens, et même pour quelques journaux anglais, la France, enivrée par la victoire, est aujourd’hui dévorée d’ambition et empoisonnée d’impérialisme. Elle est sous la domination d’une caste militaire, a la tête de laquelle se trouve le maréchal Foch, et qui tire habilement les ficelles du gouvernement civil. Ce n’est pas à Berlin que Kapp et Lüttwitz ont tenté un coup d’État, c’est à Paris ; si M. Millerand a fait occuper Francfort, ce n’est pas parce que la Reichswehr était, en violation du traité, entrée dans la Ruhr, c’est parce que l’état-major français voulait amorcer ainsi de plus vastes entreprises. Ah ! Monsieur le Maréchal, comme vous cachez votre jeu ! Lorsque, l’autre jeudi, vous veniez à l’Académie examiner si consciencieusement les candidatures au prix Gobert, qui aurait pu supposer que vous portiez en vous des projets si criminels?

Mais peut-être qu’avant de vous les prêter, on ferait bien de se demander s’ils ne contrastent pas trop violemment avec votre caractère et avec votre passé. Vous n’êtes pas, j’imagine, étranger à la victoire des Alliés. Si brillant qu’ait pu être, sur le champ de bataille, le concours des chefs et des soldats anglais, américains, belges, italiens, serbes, grecs, portugais, polonais ou tchèques, les poilus et les chefs français ont supporté, pendant plus de quatre ans, avec une vigueur incomparable, le poids principal de la guerre. Vous étiez vous-même le chef des chefs, le commandant suprême, celui dont tout le monde attendait des directions, celui dont le mot d’ordre était immédiatement observé de la Mer du Nord à la Suisse, celui même dont les conseils étaient respectueusement suivis en Italie et dans