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sentiments humains font de courtes apparitions. Je ne puis m’intéresser à ces brutes ; et je tiens du poète Rustique ou de M. Francis Jammes que « l’intérêt, » en littérature, n’est pas grand’chose et ne vaut pas une exacte peinture de la vie simple : mais ni la leçon ni l’exemple du poète Rustique ne m’ont persuadé.

Le poète Rustique avoue que la majeure partie de la réalité est insignifiante. Mais, comme il choisit, pour la peindre, cette partie de la réalité, cela revient à dire que ses légers amis la déclarent insignifiante et qu’à son avis elle ne l’est pas. L’auteur de l’Équipe et des Innocents, et de Bob et Bobette s’amusent, paraît avoir adopté, lui, la maxime du philosophe, selon laquelle « il n’y a rien de vil dans la maison de Jupiter. » Seulement, il a choisi, pour le peindre, ce que d’habitude on croit qui est vil dans la maison de Jupiter : et il n’est rien de plus vil que ces apaches, leurs exploits, leur pensée, leur langage et le train de leur existence.

Ce qui est vil et ce qui est insignifiant : voilà ce que la littérature devrait négliger. Je n’aime pas qu’elle me dégoûte ; je n’aime pas qu’elle m’ennuie : je voudrais qu’elle fût, ce qu’elle a été aux meilleures époques, un divertissement à l’usage des honnêtes gens. Je n’ai pas envie de la suivre, quand elle fait sa « tournée des grands-ducs ; » et je n’ai pas envie que m’endorme un entretien de patriarcales misères.

Entre la vie abjecte des apaches et la vie pastorale que mène un père de famille dans un village des Pyrénées, il y a un grand espace où la littérature est à son aise.

Allons ! vous préférez la littérature mondaine, les « complications sentimentales » des jolies femmes, les élégances des salons et le bavardage des gens à la mode ?… Si la question m’était ainsi posée, je répondrais que oui, pour aller vite. Les simples vertus de ce poète Rustique et les simples forfaits du capitaine Bouve m’inclinent à supposer que, si l’on me contait avec un peu d’esprit un adultère mondain, j’y prendrais un plaisir extrême.

Les romanciers, il n’y a pas encore longtemps, plaçaient à l’envi leurs anecdotes dans le beau monde que méprisent MM. Francis Jammes et Carco, l’un parce qu’il préfère les patriarches, l’autre parce qu’il préfère les apaches. Et l’on s’est moqué de ces romanciers mondains, de leur snobisme. J’avoue qu’à cet égard ils ne sont pas tous également à l’abri d’une juste raillerie. Pourtant une petite femme du monde, fût-elle un peu sotte, est plus attrayante que la Marie Bonheur du capitaine Bouve. Elle est moins honorable que le poète