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aimé Jean-Jacques, autrefois ; il en a délicatement parlé : je veux croire qu’il l’aime encore. Et, par divers côtés, il lui ressemble : par un très vif amour de la nature, de la campagne et de la retraite ; par un art excellent de trouver le pittoresque dans la réalité familière ; par une singulière impétuosité de jugement qui les rend incapables d’incertitude ; par quelque orgueil et quelque cynisme à peu près innocent. Après cela, ne parlons pas des différences.

L’une des différences est que Jean-Jacques inventait sa doctrine, tandis que M. Francis Jammes se garde d’une telle impertinence, ayant adopté le plus rigoureux catholicisme. Et je ne le dis certes pas au détriment de M. Francis Jammes, qui est ainsi plus excusable d’être si catégorique et dogmatique. Ce n’est pas le fait de son dogmatisme qu’on serait parfois sur le point de lui reprocher, mais le ton de ses remontrances, dénuées de la moindre douceur.

Il est un converti : aucun de ses lecteurs habituels ne l’ignore. Et il est de ces convertis que leur belle aventure spirituelle a, en quelque manière, entichés. On voudrait qu’ils n’eussent pas si promptement perdu le souvenir d’une longue erreur et qu’un tel souvenir leur fît comprendre comme l’erreur est facile et, souvent, pardonnable. On voudrait aussi que la grâce qu’ils ont reçue leur parût — ce qu’elle est, en somme, — une faveur que l’on n’a point méritée ; de sorte qu’ils auraient, pour soi, beaucoup de modestie et, pour leur frère le pécheur, beaucoup d’indulgence. Un grand nombre de convertis ont malheureusement une fierté où l’on voit leur bonheur plus que leur charité. Quelques-uns d’entre eux sont, faut-il le dire ? un peu comme les parvenus de la foi ou les nouveaux riches de la croyance. Et l’on sait bien que, s’ils affichent leur religion, c’est pour que leur exemple soit un enseignement ; peut-être leur plairait-il de savourer secrètement leur aubaine et d’être contents avec pudeur. Ils devraient ne point porter sur eux toute leur piété, comme d’autres tous leurs bijoux acquis récemment.

Le poète Rustique n’évite pas l’inconvénient de quelque pharisaïsme. Il ne craint pas de dire « ma piété. » Il traite avec un mépris et une dureté, que n’a pas eues pour de plus coupables son divin Maître, de bonnes gens que retient encore le libertinage du monde, un pharmacien qui ne va point à la messe, une demoiselle que tentent les anodins badinages du bel air et de la littérature, un ancien séminariste qu’émeut la prétention d’être poète et qui, sur les pavés pointus de la cour, s’est cassé la jambe, le jour qu’il apportait au poète Rustique son manuscrit. Or, il a fallu qu’on vînt chercher ce