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Comme l’un des genoux de Pomme d’Anis cache avec pudeur la gêne de l’autre, le poète Rustique essaye de cacher un peu la gêne de M. Francis Jammes ; et, comme se fatiguerait l’un des genoux de Pomme d’Anis, le poète Rustique renonce à cacher M. Francis Jammes, qui du reste n’a plus aucune espèce de gêne.

M. Francis Jammes n’est pas de ces Pascaliens qui ont la haine du moi et n’osent parler d’eux. Dans l’un de ses poèmes d’autrefois, quelqu’un lui demande : « Comment allez-vous, monsieur Jammes ? » Il ne met pas son nom seulement sur la couverture : il le met dans ses vers et volontiers à la rime. Les autres poètes ne sont guère plus absents de leurs poèmes, sans doute ; mais ils ont un peu plus d’hypocrisie, en général. M. Francis Jammes refuse toute hypocrisie, comme l’y engagent ses opinions morales et littéraires. Il le fait, d’habitude, avec une bonhomie très agréable ; cette fois-ci, avec moins de grâce et, pour ainsi dire, avec une certaine effronterie.

Il écrit : « Le poète Rustique peut bien, à son âge, prendre quelques libertés avec ce qu’on est convenu d’appeler la civilité puérile et honnête. À vingt-cinq ans, même à trente, il montrait encore quelque usage aux princesses lointaines. Il préfère aujourd’hui dîner tranquille, loin des regards étrangers, en donnant la becquée à quelqu’un de ses petits ou en lui disant : « Tiens, mouche-toi ; non, pas comme ça ! Souffle ! souffle plus fort ! » Il a ses goûts et, chez lui, aurait grand tort de se gêner. Mais, s’il aime à dîner loin des regards étrangers, c’est drôle qu’il nous invite à le voir dîner, à le voir moucher la marmaille et même à voir Mme Rustique « torcher leur dernier moutard. » Il aime la vie simple, non la vie secrète. Il a, le poète Rustique, il a toujours eu, mais il a plus que jamais et, il me semble, avec un peu trop d’abandon maintenant, une certaine exubérance méridionale qui l’empêche de sous-entendre ce qu’il n’est pas indispensable d’annoncer et qui le porte à proclamer ce qu’il suffit de dire à demi-voix si l’on n’est pas en train de se taire.

Comprenons-le, d’ailleurs. S’il nous raconte au jour le jour sa vie paysanne et les menus incidents qui marquent l’histoire de sa jeune famille, ce n’est pas tout uniment afin de nous divertir : il est un moraliste ; il prétend condamner la vie indignement frivole que mènent les citadins et recommander aux chrétiens élégants le sain retour à la vie simple et quasiment patriarcale. Son petit ouvrage est une peinture des bonnes mœurs pyrénéennes. Il est le moraliste du village pyrénéen, comme Jean-Jacques fut, — je n’ose dire, le vicaire savoyard, — mais l’apôtre de l’ingénuité helvétique. Il a beaucoup