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duit en contrebande dans la salle du banquet, et passée telle quelle aux agences avec une légèreté incroyable par le maréchal de la Cour et le Chambellan de service ; c’est le procès von Tautsch, qui établissait que pour noircir le bureau de la presse, le commissaire de ce nom avait produit à son ministre, en guise de pièce à conviction, un faux reçu d’un certain folliculaire Kukutsch, faux d’ailleurs fabriqué par le susdit Lutzow. Kukutsch était insoupçonnable, Kukutsch fut acquitté. Mais s’appelle-t-on Kukutsch ?

Ces mœurs étonnantes montrent ce qu’on pouvait se permettre impunément sous le couvert de l’irresponsabilité dans l’ombre des bureaux présidés par Holstein. On devine les méfaits qu’un autocrate de sa sorte, borné et entêté, et se croyant toujours l’héritier de Bismarck, était capable d’accomplir avec austérité. Pendant que toute l’Allemagne changeait, le « vieil homme » faisait des siennes. Il faut évidemment se garder d’en croire M. Hammann, quand il prend le seul Holstein pour le bouc émissaire de toutes les fautes de l’Allemagne. Mais il peut y avoir du vrai dans cette lutte sournoise qu’il nous décrit et qui ne cessa plus, à partir de 1890, entre les chanceliers successeurs de Bismarck et la bureaucratie. Cette opposition, ou sourde ou déclarée, ce sabot mis continuellement à la roue, devaient fausser, vicier la politique de l’Empire. Ainsi l’esprit de Bismarck, mais pétrifié dans de vieilles rancunes et de vieilles formules, tourné au fétichisme le plus rigide, ne cessa de se dresser, pour les paralyser, devant les hommes du nouveau régime. Il arrive que rien n’est plus dangereux que l’héritage des grands hommes. Celui de Frédéric II conduisit ses généraux à se faire battre par Napoléon ; les principes du vieux Moltke ont mené le cadet à la défaite de la Marne. Une tradition mal comprise, une leçon mal appliquée, une imitation maladroite, sont le principe de maints désastres.

C’est ainsi qu’en deux occasions décisives la raideur bureaucratique d’Holstein fit avorter des événements qui devaient changer la face des choses. On se souvient de la mémorable incartade de l’Empereur, célèbre dans l’histoire sous le nom de la dépêche Kruger ; M. Hammann assure que cette fois l’Empereur ne fut pas, comme dans l’interview du Daily Telegraph, victime de sa faconde et de sa verve impulsive : les termes de la dépêche furent pesés, paraît-il, en conseil des mi-