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accord, l’Allemagne, pendant la guerre, mourait de faim au bout de six mois. L’échange de Zanzibar contre le rocher d’Héligoland se trouva pour l’Allemagne une affaire meilleure encore et qui a dû coûter des larmes de sang à l’Angleterre ; le prétendu « bouton de culotte » devait être la forteresse, l’inexpugnable donjon maritime que l’on sait. Quant au fameux traité de « contre-assurance » avec la Russie, il n’était conciliable avec l’existence de la Triplice que par un prodige de virtuosité diplomatique, qui n’était qu’un jeu pour Bismarck, mais que son successeur n’était pas en état de soutenir. Le vieil empereur Guillaume disait de son chancelier : « Il me fait l’effet d’un jongleur qui jongle avec cinq boules » (la cinquième boule était la Roumanie). Et le tsar Alexandre ajoutait de son côté : « J’avais toujours l’impression qu’il me tricherait. » Pour les socialistes, qui avaient le don d’exaspérer le vieux junker, on sait si ce « parti du désordre » était un danger pour l’Empire. M. Hammann a grande raison d’approuver les gouvernements qui leur ont fait crédit. On a bien vu pendant la guerre, et nous n’avons peut-être pas fini de voir, que la cause de la grandeur allemande n’avait pas de meilleur appui.

Mais il ne suffit pas toujours d’un changement de règne, — et même quelquefois d’une révolution beaucoup plus importante, — pour produire dans le régime un changement correspondant. La machine politique, dans les États modernes, est surtout constituée par ce qu’on appelle les bureaux. On a dit grand mal des bureaux ; ils ont leurs inconvénients, comme toute institution humaine. Ils n’en constituent pas moins l’organe permanent qui permet au corps de durer. C’est ce qui explique, par exemple, la continuité de la vie en dépit de certaines secousses, celle de la politique française à travers les aberrations de notre révolution, et (à un moindre degré, à cause d’un personnel qui était loin de valoir celui de notre ancien régime), le fait qu’il existe encore une Russie après les criminelles folies de la République des Soviets. On s’étonne de voir certains caractères survivre aux crises les plus violentes, à la chute des dynasties, au massacre, à l’exil, aux fuites des souverains et des ministres ; on ne fait pas réflexion que ces événements ne touchent pas aux bureaux. Les bureaux repré-