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gestes de Jeanne commença par en être le juge, juge qui n’avait pas le droit d’être partial, et qui devait, dans le miroir de cette âme, épier les défauts, et chacun de ses jugements expirait en un acte d’hommage. Le juge de Jeanne, alors, s’érigea en chevalier de Jeanne, devant toute l’opinion chrétienne, devant les consulteurs romains, devant trois papes successifs. Pour la défendre mieux, il se familiarisait de plus en plus avec elle : c’est par elle-même qu’il se faisait aider, pour l’aider à son tour. Personne n’a, plus que lui, fouillé les incomparables volumes de Quicherat. Mais ce n’est pas seulement en érudit qu’il les connaît. Ayant longuement, comme juge d’Eglise, observé Jeanne, noté ses attitudes, scruté ses réponses, et pénétré, derrière la limpidité de sa conscience, les mystères augustes de sa vie intérieure, il affina dans cette besogne son expérience religieuse de l’âme de Jeanne, expérience d’un théologien habitué à regarder sub specie æternitatis les efforts humains vers la sainteté. De là, l’originalité de cette œuvre, qui reconstitue sous nos yeux vingt-cinq ans d’intimité spirituelle, et qui nous fait discerner, avec plus d’autorité qu’aucune autre, comment l’Église regarde Jeanne et comment elle la voit, comment l’Eglise écoute Jeanne et comment elle l’interprète. La gloire religieuse de Jeanne, en même temps qu’elle trouvait dans Benoit XV son défenseur, a trouvé dans Mgr Touchet son exégète. Il convenait qu’Orléans, au terme d’un labeur près de cinq fois séculaire, revendiquât comme un dernier honneur la lâche d’expliquer cette gloire : son évêque s’en est chargé, et l’a lumineusement remplie.

Rome, jusqu’aux jours d’hier, interrogeait Orléans pour mieux connaître Jeanne : à présent, dans la chaire de Sainte-Croix, des échos de Saint-Pierre de Rome se répercutent. « Rome parle, et ses sentences sont aussi de l’histoire, » écrivait en 1911 M. Gabriel Hanotaux[1]. Les voilà désormais incorporées à l’histoire de Jeanne, telle que la retrace Mgr Touchet, comme un suprême élément d’appréciation, et comme la formule définitive de l’opinion publique chrétienne.


GEORGES GOYAU.

  1. Hanotaux, Jeanne d’Arc, p. 411.