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profitant d’un pèlerinage de Lourdes, aurait là-bas, par une sorte de machination, fait tourner à l’honneur de Jeanne la retentissante guérison de la malade tuberculeuse. En son âme loyale, ces attaques retentissaient comme une douloureuse offense.

Dans la congrégation des rites, la majorité des consulteurs les négligea : les conclusions de l’évêque d’Orléans furent acceptées. La parole était à Pie X. A quelques semaines de distance, durant lesquelles, pour Mgr Touchet, l’angoisse suprême précéda l’espérance sereine, on apprit que le Pape suspendait la cause et jugeait inutile d’écouter à nouveau l’évêque d’Orléans, et puis qu’impressionné par les propos d’un avocat, il ordonnait de la reprendre… La mort surprit Pie X dans ce dernier élan, qui dans Orléans ramena la joie.

D’une main sûre, Benoit XV ouvrit tout le dossier. Silence aux bruits du dehors : le Pape, personnellement, allait entrer en contact avec les plus menus détails de la cause. « Qui sait ? disait-il dès décembre 1914 à Mgr Touchet, Dieu me réserve peut-être de canoniser votre bienheureuse Jeanne d’Arc. » Il pacifia les palabres médicales en convoquant un nouvel avis ; il dissipa, par un examen personnel, les bourrasques théologiques. Le 18 mars 1919, dans une séance solennelle que Benoit XV lui-même présidait, il fut décidé que les deux « grâces » imputées à Jeanne par la curie épiscopale d’Orléans méritaient d’être retenues. Quinze jours plus tard, un décret du Pape confirmait cette décision : le 6 avril, en présence du pèlerinage français des veuves de la guerre, Benoit XV fit savoir que Borne pensait, des deux guérisons, ce qu’en pensait Orléans Mgr Touchet acclamait le Pape, et le Pape acclamait la France, en regrettant de n’être français que par le cœur. Et le 6 juillet suivant, Benoit XV prononçait, définitivement, qu’il pouvait être procédé en sécurité à la canonisation de Jeanne d’Arc. Dans tous les sanctuaires où Borne règne, dans les églises, dans les âmes, la libératrice d’Orléans allait bientôt être honorée comme une sainte.

La Sainte de la Patrie[1] ; tel est le titre des deux volumes dans lesquels Mgr Touchet nous apporte aujourd’hui la biographie psychologique de l’héroïne, et qui doivent à la personnalité de leur auteur une valeur unique. Ce narrateur des

  1. Paris, Lethielleux, 1920.