Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déjà vingt mille statues de Jeanne dans les églises : la voix du peuple fidèle le pressait, elle le poussait.

Désormais, cependant, les initiatives humaines n’étaient plus de mise. Pour que la canonisation pût survenir, il fallait que des faits se produisissent qui pussent être considérés comme des « grâces merveilleuses obtenues par l’intercession de Jeanne. » Mgr Touchet, maintenant, ne disait plus à ses collègues de l’épiscopat : Parlez au Pape de la cause de Jeanne. Invoquant d’autres influences, il visait, au-delà des grilles conventuelles, les foyers où la prière collective s’allume, et il recommandait la cause de Jeanne pour que, d’urgence, on en parlât à Dieu. Cela fait, il n’avait plus qu’à chômer, en attendant, en guettant.

Son chômage fut assez bref. On lui présenta, bientôt, un certain nombre de cas, pour lesquels on croyait pouvoir risquer la qualification de miracles. Il obtint de Rome, en février 1910, la permission de les faire examiner. Il était homme prudent, d’ailleurs, — prudent comme la Pucelle, qui souriait, on s’en souvient, lorsque autour d’elle la ferveur populaire construisait avec trop de pétulance de trop merveilleuses histoires. Parmi les faits présentés, deux seulement furent retenus par le tribunal ecclésiastique d’Orléans : « la guérison instantanée et parfaite d’un mal plantaire perforant ; la guérison instantanée et parfaite, » obtenue à Lourdes par l’invocation de Jeanne d’Arc, « d’une tuberculose péritonéale et pulmonaire et d’une lésion organique de l’orifice mitral. » Rome, en novembre 1911, fut officiellement saisie de ces deux phénomènes.

Dans la poursuite des œuvres de longue haleine auxquelles un ouvrier s’attelle avec toute son âme, une période parfois survient où il les sert par sa souffrance : certaines pages de Mgr Touchet nous laissent pressentir qu’il traversa cette période-là. Que les médecins convoqués par Rome épiloguassent longuement sur le diagnostic du mal plantaire, c’était leur droit et leur devoir. Mais l’autre fait, celui qui s’était déroulé à Lourdes, donnait lieu à des suppositions d’un autre ordre. L’esprit de suspicion, lorsqu’il dépasse certaines bornes, devient la caricature de l’esprit de vigilance : à l’égard de Mgr Touchet, ces bornes furent un instant dépassées. Des bruits circulèrent, d’après lesquels l’évêque d’Orléans,