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chose de la Pucelle, mais croyaient qu’elle leur avait été bonne ; après la science, représentée par un Wallon, la souffrance venait témoigner. Et de ces deux sortes de dépositions, on ne sait laquelle, pour Rome, avait le plus de prix.

Hors d’Orléans, la France catholique multipliait les hommages à Jeanne : le monument que, dès 1866, le cardinal de Bonnechose projetait d’élever à Rouen était dressé, en 4892, par le cardinal Thomas ; l’évêque de Saint-Dié, l’évêque de Verdun lançaient des appels pour qu’à Domrémy, pour qu’à Vaucouleurs, l’hommage de l’art ratifiât celui de la piété ; et lorsque fut posée la première pierre du monument de Vaucouleurs, la voix d’un ministre des cultes s’éleva pour féliciter l’évêque et pour saluer en Jeanne « l’image brillante et immaculée de la patrie, celle qui incarna la passion de l’indépendance et de la grandeur nationale. » Cette voix était celle de M. Raymond Poincaré[1].

Rome en même temps travaillait. Six ans durant, sous le regard de Léon XIII, le « promoteur de la foi, » chargé de présenter les objections susceptibles de faire ajourner la cause, fouilla les procès Orléanais pour y trouver des points faibles, et sans miséricorde il les signalait, mais cependant un mot de lui circulait, qui donnait espoir dans l’issue finale : « Dans cette noble cause, disait-il, je souhaite de vaincre, mais je désire plus encore être vaincu. » Et six ans durant, pour le vaincre, on vit se coaliser le cardinal rapporteur, et M. Captier, Sulpicien, postulateur de la cause, et les avocats.

Le cardinal Billot, à qui certains en 1878 avaient songé pour la tiare, puis le cardinal Howard, — un Anglais, — enfin le cardinal Parocchi, furent tour à tour rapporteurs. Parocchi joignait la vaste et subtile culture d’un prélat de la Renaissance aux disciplines ascétiques d’un Charles Borromée : de notre littérature et de notre histoire française, rien ne lui était étranger. Il s’était épris de Jeanne ; il devait un jour la présenter, dans une conférence de janvier 1895, comme ayant sauvé l’intégrité religieuse de la France et de l’Europe latine, et jamais voix d’Eglise ne fut plus dure pour Cauchon, qu’il accusait de s’être « prêté complaisamment à jouer à la fois le

  1. Textes complets dans Jehanne la Pucelle, III, p. 272-276.