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l’Angleterre, revenue à la foi de ses ancêtres, comprendra-t-elle que son honneur n’est pas engagé dans une erreur dont les luttes politiques ont seules été la cause. Rien ne serait plus digne d’une grande nation que de prendre l’initiative dans une réparation qui pour elle serait un honneur, ce qui permettrait à la France d’ajouter à la gloire de sa libératrice, en joignant au culte de l’admiration et de la reconnaissance celui de la prière et de l’invocation.


La chaire orléanaise, par l’organe de Freppel, souhaitait ainsi, pour Jeanne, la couronne de sainteté. Souhait vaporeux encore, et qui semblait confiner au rêve, puisque Freppel supposait une Angleterre rentrée dans le bercail romain. Mais sept ans après, rappelé par Dupanloup pour un second panégyrique, le futur évêque d’Angers se révélait plus impatient ; Il n’attendait plus que les Anglais eussent restitué leurs consciences au siège de Pierre : pour lui, la question de la canonisation, question « délicate, » relevait de l’épiscopat de France, qui apprécierait si elle était mûre ; elle relevait du pape, qui reconnaîtrait si l’heure de Dieu avait sonné. Mais lui du moins, Freppel, « soldat obscur dans la milice du Christ, » s’attribuait le droit d’étudier cette question, « sous une forme purement hypothétique et conditionnelle ; » et son panégyrique établissait que u »Jeanne d’Arc avait pratiqué les vertus chrétiennes à un degré héroïque et que Dieu avait confirmé la sainteté de sa servante par des miracles authentiques et incontestés[1]. »

L’heure approchait qui, pour près d’un demi-siècle, allait arracher l’Alsace à la France : une coïncidence touchante voulait que l’âme alsacienne, avant de nous laisser dans le deuil, songeât à l’exaltation de Jeanne et se fit ainsi, pour la mère patrie, l’ouvrière d’un peu de gloire. Le musée Jeanne d’Arc d’Orléans garde une lettre dans laquelle, dès 1857, le peintre alsacien Ary Scheffer écrivait :


Si Jeanne s’appelait la Pucelle de Strasbourg, moi et beaucoup d’autres encore, nous nous serions fait un devoir de solliciter à genoux le concours de nos concitoyens pour former une immense et imposante réunion de suffrages demandant avec instance et persévérance, en faveur de l’héroïne, l’honneur de la proclamation publique et solennelle de sa sainteté par la voix du chef de l’Église.

  1. Sur ce rôle de l’abbé Freppel, voir Chasle-Pavie, A propos de la béatification de Jeanne d’Arc : Mgr Dupanloup, Mgr Freppel. Angers, 1910, et les remarques d’Henry Jouind dans Jehanne la Pucelle, avril 1914, p. 107-122.