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à Dieu et au Roi de France. Les Anglais, tant de fois vaincus, eurent honte de devoir une palme à une femme ; parce que par mes victoires je leur faisais du mal, je fus condamnée comme sorcière ; par un faux jugement ils m’attachèrent au bûcher, pour étouffer mon nom sous une cendre infâme ; la flamme épargna mon cœur ; devenue plus lumineuse par le feu, je resplendis pour la postérité.


La physionomie de Jeanne s’exhibait ainsi comme un exemple, sous la plume des moralistes de la Compagnie de Jésus ; et les historiens appartenant à la Compagnie, un Mariana en Espagne à la fin du XVIe siècle[1], un P. Daniel en France à la fin du XVIIe, lui prêtaient un relief et des couleurs qui justifiaient cet enseignement moral.


V. — COMMENT ORLÉANS, AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES, ENTENDIT PRÊCHER SUR LA PUCELLE

Orléans continuait d’honorer sa Pucelle, et même, à certaines heures, s’incarnait en elle. Lorsque au 13 juillet 1614 le petit Louis XIII y fit son entrée, c’est sur les lèvres de la Pucelle que l’orateur de la cité plaçait des vers prophétiques concernant l’enfant royal ; elle prédisait à Louis XIII qu’il prendrait Jérusalem[2] ! La Pucelle, sa vie durant, avait été bon prophète ; mais en prosopopée, elle cessait de l’être.

Les fêtes annuelles de mai devenaient de plus en plus nettement la glorification de Jeanne. Le guidon peint au XVIe siècle, que l’on portait à la procession, et qui représentait la Vierge-mère ayant à ses genoux, en prières, Charles VII et Jeanne d’Arc, avec deux anges à droite et à gauche, se nomma définitivement, à partir de 1659, « le guidon de la Pucelle[3]. » Le sermon commença de s’intituler, au XVIIe siècle : Discours sur la Pucelle d’Orléans et sur la délivrance de cette ville ; et puis, au XVIIIe siècle, lorsque la rhétorique de Thomas eut mis à la mode les « éloges, » on appela ce discours : Éloge de Jeanne d’Arc[4]. L’œuvre de justice qu’avait accomplie la papauté du XVe siècle trouvait ainsi dans la chaire d’Orléans son

  1. Richer. op. cit., II, p. 339-340.
  2. L’oracle de la Pucelle d’Orléans au roi Louis XIII. Orléans, 1817.
  3. Mantellier, Histoire du siège d’Orléans, p. 194.
  4. Cochard, La mémoire de Jeanne d’Arc à Orléans, p. 7. Orléans, 1892.