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la solidarité entre l’honneur de cette femme et l’honneur de leur trône parait leur avoir échappé. Guillaume du Bellay, seigneur de Langey, dans ses Instructions sur le fait de la guerre, publiées en 1540, rendait quelque fraîcheur aux insinuations bourguignonnes : l’usage qu’avait fait Charles VII de la Pucelle lui rappelait l’histoire de la nymphe Egérie, artificieusement exploitée par Numa Pompilius. François Ier laissait dire… C’était l’époque où, dans ses Annales de Flandre, un prêtre de Bruges, Jacques Meyer, tout passionné qu’il fut, dans le passé, pour la cause de la maison de Bourgogne, célébrait le don de la Pucelle à la France comme un effet de « l’immense clémence de Dieu : » les mauvaises insinuations fabriquées contre elle par des Bourguignons du XVe siècle s’étaient désormais réfugiées dans Paris[1]. Charles IX, non moins tolérant que François Ier, faisait un « historiographe de France » de ce sieur du Haillan, qui, dans un livre de l’année 1570, colportait sur Jeanne des infamies, et qui réputait vraisemblable qu’il n’y eût dans toute cette histoire qu’un « miracle composé d’une fausse religion. » L’ancien Franciscain André Thevet, cosmographe d’Henri III, visait peut-être ces lignes, lorsqu’il écrivait, en 1584, dans ses Vrais pourtraits et vies des hommes illustres : « Ce serait vouloir résister à la divine volonté de calomnier ce que Dieu fait ou permet pour la délivrance, maintien et illustration d’un peuple. » Mais les méchantes suppositions de du Haillan auront la vie dure : on les retrouve encore en 1639, dans les Considérations politiques sur les coups d’État, publiées par le libertin Gabriel Naudé[2].


III. — PREMIERS REGARDS JETÉS SUR LES PROCÈS DE JEANNE : L’ŒUVRE HISTORIQUE DU THÉOLOGIEN RICHER

Deux dossiers pouvaient donner accès dans l’âme de Jeanne : le procès de condamnation, le procès de réhabilitation. Ils demeuraient manuscrits ; la France les ignorait. Il y eut, au début du XVIe siècle, un prêtre humaniste pour y jeter

  1. Richer, Histoire de la Pucelle, II, p. 315.
  2. Nous sommes très redevables, pour l’étude de toute la « littérature » concernent Jeanne, à la nouvelle édition de la Bibliographie de Jeanne d’Arc, par M. Lanery d’Arc, qu’avait commencé de publier, en 1913-1914, la revue Jehanne la Pucelle, si intelligemment dirigée par le regretté Henry Jouin.