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décidément une grande fête, dans le calendrier diocésain, que celle de la délivrance d’Orléans.

Oraisons et chants liturgiques n’y faisaient pas mention de Jeanne. Quelque mémoire que l’on gardât d’elle, on avait la discrétion de ne pas lui vouer, officiellement, un culte public ; et c’était saint Aignan, surtout, qui, dans l’office, était l’objet des actions de grâces sacerdotales. Mais si l’on ne parlait pas de Jeanne, tous pensaient à elle, et l’on vit en 1483 des strophes françaises s’entremêler à la liturgie d’Église, pour fêter Jeanne nommément. De temps à autre, en son long parcours, la procession faisait station : à chaque étape, des enfants de chœur, des chanoines postés sur des estrades, entonnaient l’une ou l’autre de ces strophes, que la foule reprenait. Pour les avoir versifiées, Eloi d’Amerval, qui dirigeait à Sainte-Croix la maîtrise de chant, toucha quatre écus d’or. Ces façons de liturgie populaire marquaient une grande nouveauté : c’est à Jeanne elle-même que ces strophes disaient merci.


Commune d’Orléans, élevez votre voix,
En remerciant Dieu et la vierge sacrée ;
Quand jadis, à tel jour, huitième de ce mois,
Regarda en pitié le peuple Orléanais
Et d’elle-même chassa nos ennemis anglais
Que le duché en fut en joie délivré.


Les motets se poursuivaient, célébrant « Pucelle bergière, qui pour nous guerroya par divine conduite. » Et de strophe en strophe, Eloi d’Amerval devenait si violent contre les Anglais, que lorsque Louis XII eut épousé Marie d’Angleterre, ordre fut donné, en 1514, d’oublier ce cantique.

Mais sous ce même règne de Louis XII où les susceptibilités gouvernementales exilaient des lèvres orléanaises ces dévots couplets, l’Hôtel de Ville d’Orléans s’ornait d’une imago de Jeanne, dressée sur l’un des piliers de la façade[1] ; et la simple croix qui depuis 1456 rappelait, à l’entrée du pont, le souvenir de la Pucelle, faisait place, entre 1502 et 1508, à un monument plus imposant, représentant Jésus crucifié, et sa

  1. Jarry, Un monument inconnu élevé à Jeanne d’Arc par la ville d’Orléans, Orléans, 1893. Lorsque en 1542 il fallut « remastiquer » cette statue, la municipalité convoqua, pour ce soin, François Merchant, le sculpteur réputé qui travaillai ! , cette année même, pour le tour du chœur de Notre-Dame de Chartres.