Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Barbe-Bleue. On a supposé que ce fut lui, — Barbe-Bleue en personne, — qui commanda cette représentation dramatique, pour l’édifiant divertissement des âmes orléanaises. Le succès fut durable : la rédaction du Mystère s’amplifiait, et probablement la forme que nous en avons fut fixée, entré 1453 et 1456, par Jacques Millet, qui avait étudié le droit à l’Université d’Orléans[1]. Ce Millet fut célèbre en son temps pour avoir écrit l’Histoire de la destruction de Troie la grant, et composé en l’honneur d’Agnès Sorel une plaintive épitaphe. Sur les tréteaux Orléanais, la gloire religieuse de Jeanne aurait donc eu comme mécène un imprésario dénommé Barbe-Bleue, et comme chantre un poète de cour, dont elle partageait avec la gloire plus laïque d’Agnès Sorel les rythmiques hommages.

Le Mystère était comme une riposte de l’art dramatique français à la parodie judiciaire rouennaise. Il entrouvrait les profondeurs du ciel : on voyait l’histoire terrestre de Jeanne s’y préparer, s’y concerter ; on entendait Aignan, et puis Euverte, et puis la Vierge, supplier Jésus d’aider la France. Mais le spectateur, bientôt, reprenait pied sur le sol français : un discret rayon de lumière éclairait la pénombre de cette sorte d’Annonciution, dans laquelle saint Michel, à deux reprises, révélait à Jeanne ses destinées. Jeanne, qui sous les regards du public bénéficiait ainsi d’une sorte de sacre, priait humblement :


O mon Dieu et mon Créateur,
Plaise vous moi toujours conduire !


Dieu faisait mieux que la conduire : pour l’aider, il mobilisait deux chevaliers de l’au-delà, Aignan, Euverte : l’Invisible se faisait visible ; les deux saints gardaient les remparts, protégeaient la Pucelle. Ce drame qu’applaudissait toute une ville installait Jeanne dans sa gloire : il ne laissait plus rien ignorer de sa vocation céleste ; les conseils divins livraient a la foule orléanaise tous leurs secrets. Les jeunes gens qui n’avaient pas connu Jeanne la voyaient sur la scène : ils comprenaient la portée des fêtes du 8 mai.

Comme Pâques et la Pentecôte avaient leur vigile, et puis

  1. Tivier, Étude sur le mystère du siège d’Orléans, Paris, 1868. — Sepet, Jeanne d’Arc, p. 534.