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réserve, division de fer, détachements désignés par le nom de leur chef allemand. Et personne ne se cachait. On disait ouvertement à Berlin : Tel officier là-bas sera notre Bonaparte. Une fois le pays conquis et pacifié, il reviendra à la tête de ses légions victorieuses renverser notre gouvernement de pantins. Bien que l’esprit de tous ces corps fût nettement réactionnaire, le gouvernement soutenait le mouvement ; il y trouvait un exutoire pour tous ces cadres qu’il allait falloir réduire, pour tous ces soldats qui ne voulaient pas rentrer chez eux et il comptait bien que tous se fixeraient dans le pays.

Lorsque l’Entente s’inquiéta enfin de ce qui se passait, et que ses membres eurent réussi à se mettre d’accord, ce qui prit quelque temps, le mal était déjà grand. Le gouvernement résista tant qu’il put aux sommations de l’Entente, ouvertement d’abord, sournoisement ensuite. Il encouragea, puis toléra le refus d’obéissance de von der Goltz. Il fallut alors opérer soi-même et envoyer le général Niessel avec une mission alliée pour faire effectuer les évacuations sous ses yeux. L’opération fut dangereuse et pénible. Il fallut toute l’énergie du général et son action personnelle pour obliger les Allemands à évacuer. Mais dans quel état ils laissaient ce pauvre pays ! On vit rarement une exploitation plus complète. Les soldats isolés qui revenaient de là-bas portaient sur eux des sommes considérables, dépassant parfois 100 000 marks, qu’ils avouaient franchement avoir gagnés en faisant du commerce, en exploitant le pays, et en soulageant les habitants de leurs économies. Je ne crois pas qu’il y ait eu la moindre sanction contre ces pillards ni contre leurs chefs. Compter sur la justice allemande est un leurre. Nous avons vu le cas qu’il en fallait faire à l’occasion des jugements intentés aux tueurs des camps de prisonniers, ainsi qu’aux assassins du capitaine Fryatt, dont l’acquittement eut lieu après une parodie de débats.

Lorsque la paix fut sur le point d’être ratifiée, les Allemands reçurent la libre disposition des Russes, sous un contrôle allié dont je ne fis plus partie.


Général DUPONT.