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leur pays. La mobilisation intensive de toutes les forces du pays était grandement facilitée par la présence de ces travailleurs dont les services pouvaient être avantageusement payés par un peu de nourriture et qui, ne recevant rien de chez eux, ne pouvaient les refuser. On a pu lire dans le livre publié par Helfferich, je crois, en 1919, que l’approvisionnement par les pays neutres s’était poursuivi pendant toute la guerre avec un succès considérable malgré le blocus, dans une proportion qui dépassait largement ce que ces pays fournissaient à l’Allemagne en temps de paix. Si les neutres ont souffert de restrictions et de renchérissement, ils doivent savoir à qui s’en prendre. Aussi, bien que le rationnement fût sérieux et les privations réelles, on n’avait jamais jugé nécessaire de se débarrasser de ces rationnaires supplémentaires qu’on ne pouvait vraiment qualifier de bouches inutiles.

Aussitôt après la révolution de novembre et dès que les soldats allemands rentrant chez eux voulurent y retrouver de l’ouvrage, on songea à rapatrier les Russes et on s’y employa activement. Si on ne trouvait pas de wagons pour les nôtres et si on criait à l’anéantissement du parc de chemin de fer allemand en conséquence des exigences de l’armistice, on se procurait néanmoins des trains pour renvoyer ces prisonniers qui devenaient inquiétants sous l’effet du souffle révolutionnaire. À tous les soulèvements qui se produisirent en Allemagne fin 1918 et dans les premiers mois de 1919, les Russes prirent une large part. Ils furent d’ailleurs traités sans pitié lors des répressions, et un colonel russe m’affirma qu’en Bavière, lors de la conquête de Munich par les Prussiens en mai, près de 500 Russes furent impitoyablement passés par les armes après capture.

Devant mes protestations relativement à cet emploi du matériel vers l’Est, au détriment de nos prisonniers, il me fut répondu que l’on utilisait les trains allant chercher les troupes allemandes de Russie et qu’il valait mieux les envoyer pleins que vides. Cette raison était valable au début. Mais bientôt, par suite du reflux des troupes allemandes, les trains ne poussaient plus dans l’intérieur de la Russie jusqu’à la limite où les Allemands avaient réduit pendant la guerre les voies de l’écartement russe à l’écartement normal, limite située à plus de 300 kilomètres de la frontière de 1914. De sorte que ces pauvres