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coup répandue chez les peuples vainqueurs et des augmentations dont beaucoup étaient justifiées par la cherté de la vie, mais dont un grand nombre auraient pu être évitées ou modérées, ont été accueillies en France, par le gouvernement et par les Chambres, sans que le vote d’impôts correspondants vint arrêter ou ralentir ce flot grossissant. Je me rappelle m’être attiré, en 1906, les railleries de Camille Pelletan, parce que j’avais, disait-il, tenu à honneur d’escalader l’Himalaya des budgets, en dépassant le chiffre de quatre milliards. Nous sommes aujourd’hui loin de cette misérable petite altitude. Des budgets vieux de quinze ans ne nous apparaissent plus que comme de simples taupinières, et il n’est pas de chasseurs alpins assez alertes pour gravir sans essoufflement, jusqu’à des sommets de plus de vingt milliards, les pentes escarpées des nouveaux budgets qu’ont brusquement fait surgir les derniers tremblements de terre. En 1914, les crédits ouverts ne représentaient encore que 41 millions de francs par jour; en 1915, ils passent à 63 millions; en 1916, ils montent à 82 ; en 1917, ils atteignent 104 ; en 1918, nous faisons brusquement un bond jusqu’à 127 millions, et, en 1919, après la victoire, nous touchons au chiffre effrayant de 130 millions par jour.

Cent trente millions par jour! Et dans ces dépenses devenues ordinaires, n’entre pas le solde débiteur des comptes spéciaux qu’il a fallu ouvrir au cours des hostilités, compte du ravitaillement, compte des avances aux Alliés, compte des cessions de matériel aux Alliés. Au vrai, pour l’année courante, les prévisions de dépenses ne s’élèvent pas à moins de cinquante milliards et demi ; soit, 17 milliards 800 millions pour le budget ordinaire, — 6 milliards 600 millions pour la 1re section du budget extraordinaire, — 952 millions pour la 2e section, — 22 milliards pour des dépenses que nous recouvrerons, tôt ou tard, sur l’Allemagne, si nous suivons, à cet égard, une politique de clairvoyance et de fermeté, — et au moins 3 milliards pour le débit des comptes spéciaux.

Quelles recettes aurons-nous à mettre en regard de ces charges qui, il y a dix ans à peine, auraient confondu notre imagination? Comme l’a remarqué avec trop de vérité le ministre des Finances, lorsque nous aurons recherché, dans cet immense budget, toutes les économies réalisables, il ne nous restera que deux moyens pour nous procurer des ressources, l’un, normal, qui est l’impôt, et l’autre, transitoire, qui est l’emprunt à très long terme ou l’emprunt perpétuel. Nous pouvons évaluer à onze milliards environ le produit des