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homme cultivé qui fût en état de finir les vers inachevés de Jocelyn. La riche spontanéité des Méditations s’était tournée peu à peu en une habitude déplorable d’improvisation. Les Parnassiens, Flaubert, les Goncourt, ne séparaient pas la poursuite de l’art impersonnel de la recherche d’une forme serrée. Ils prirent en aversion et en mépris le poète qui avait gaspillé les plus magnifiques dons de la nature. L’hellénisme aidant, quelques-uns, idolâtres de la précision sobre et lumineuse des Grecs, ne virent plus que mollesse, avachissement, impuissance, dans toute poésie qui cherchait le flou, le vaporeux et l’imprécis. Il leur fallait un art plus mâle, une forme plus dure. Lamartine fut, pour Flaubert, un esprit « eunuque. » Leconte de Lisle, oubliant que la magique douceur de la sensibilité lamartinienne avait jadis éveillé son génie, lui reprocha d’être venu à l’heure précise où la « phtisie intellectuelle, les vagues langueurs, et le goût dépravé d’une sorte de mysticisme mondain attendaient leur poète. » Et accablant l’auteur célèbre sous sa gloire même, il ajoutait brutalement : « La marque d’une infériorité intellectuelle, caractéristique est d’exciter d’unanimes et immédiates sympathies. »

Pendant vingt ou trente années, il ne fut plus question d’admirer Lamartine, mais d’expliquer pourquoi on l’avait jadis tant admiré. La poésie des Méditations s’enfonçait dans le passé et s’offrait comme un problème d’histoire. Avec les vieillards, seuls les historiens lui demeuraient indulgents. Zola marque le point le plus bas qu’ait atteint la baisse de la réputation de Lamartine, lorsqu’il écrit : « Lamartine ne correspond plus à notre état d’esprit… Il n’exerce plus d’influence appréciable. » Ce jugement parut en 1881.

L’inauguration de la statue de Lamartine, le mercredi 7 juillet 1887, produisit un beau discours de Sully Prud’homme, qui analysa avec une fine sympathie l’originalité des Méditations et le génie du poète. Mais on sentit bien que cette admiration était sans écho et les critiques, Brunetière, M. Paul Desjardins, s’appliquèrent à chercher d’où venait l’oubli, le discrédit où Lamartine était tombé. Raoul Rosières se demandait un peu plus tard, en 1801, pourquoi on ne lisait plus Lamartine.

Mais à ce moment, justement, il rentrait en grâce auprès des jeunes. Depuis cinq ou six ans, une poésie vague, irréelle, mystique, ennemie de toute limitation, dédaigneuse des