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guerre, me rendre sur le front italien. Un de mes amis, chef d’Etat-major d’un corps d’armée, qui y passa six mois pour la première fois de sa vie, parlait de ce qu’il avait vu avec une singulière admiration. Ce n’était pas seulement cet enchantement physique de la descente des Alpes, cette charmante ivresse qu’éprouve d’âge en âge tout soldat d’une armée d’Italie, cette volupté dont le souvenir, à quarante années d’intervalle, inspire l’immortel début de la Chartreuse de Parme. Mon ami jugeait des choses en officier supérieur. Le soldat italien lui parut admirable. Ses tracés de routes, ses travaux d’organisation révélaient le fils non dégénéré du légionnaire romain. Mon ami vit une troupe sarde marcher trois fois de suite à l’assaut. Cette race sobre, laborieuse, endurante, lui parut grande. Ses fonctions l’amenaient souvent au quartier général. Le commandant d’armée, par courtoisie pour ses hôtes, s’expliquait devant ses généraux dans le français le plus pur. Il aurait pu s’exprimer de même en anglais et en allemand, et il aurait été compris. « J’observais, me disait mon ami, ces figures d’un raffinement Supérieur ; je regardais ces visages de cardinaux, et je croyais assister à un conclave. »

Pasquale Villari n’aura pas vu le triomphe final. Il n’aura pas eu le bonheur de contempler l’écroulement de l’Autriche. Mais l’Europe n’en a pas fini avec le péril du germanisme. Soit sous forme d’une revanche par les armes, soit sous la forme plus redoutable de la révolution, les dangers qu’avait prévus le grand historien ne cessent pas de menacer l’Europe : le monde reste en présence de l’Inquiétude barbare. Contre ce péril, comme au temps de César, si l’aile gauche est en Angleterre, l’aile droite est toujours sur les Alpes, vers les plaines qui débouchent au Danube. Devant l’avenir incertain, le front italien est une partie essentielle du front de la civilisation.


LOUIS GlLLET.