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Par cette vue si simple, Villari faisait œuvre de grand historien. Il restaurait l’unité de l’histoire italienne ; il la ramenait à une lutte de la latinité contre le germanisme ; il renouait avec la grande tradition nationale : le vieux point de vue guelfe retrouvait son actualité. Du reste, Villari s’en sépare sur la question romaine qui, depuis le XVIe siècle, est la pierre d’achoppement de l’unité italienne. Mais ces nuances ne présentent qu’un intérêt rétrospectif. Je ne veux m’attacher ici qu’à ce que l’œuvre de Villari contient pour nous de vivant.

Or, si l’on veut bien se reporter à la date de 1860 où fut composé l’opuscule de la Culture latine, on ne pourra manquer d’en saisir la profonde originalité. Qu’on lise en effet la plupart des historiens contemporains, Guizot, Michelet, Renan, Taine, et jusqu’à un simple historien de l’architecture au moyen-âge, tel que Viollet-le-Duc : on sera stupéfait de rencontrer partout les échos docilement répétés de l’Allemagne de 1813, le dogme du génie barbare. En haine de l’esprit latin et de la culture classique, le romantisme avait créé la religion du moyen âge : mais, chose curieuse ! le moyen-âge était représenté comme un phénomène tout germanique. Sur les ruines de l’Empire romain, les barbares avaient fondé la civilisation moderne ; culte de la femme, chevalerie, honneur, religion du serment, piété intime, tendresse, spiritualité, ils avaient inventé notre univers moral. Ce sont eux qui avaient chanté la Chanson de Roland, créé la cathédrale gothique, en soulevant ses voûtes par une aspiration grandiose vers l’infini, en transportant dans ses arceaux le mystère de leurs forêts et en suspendant aux chapiteaux le frémissement des feuillages.

Aujourd’hui nos yeux se sont ouverts. Les magnifiques travaux de Fustel de Coulanges, puis ceux des Mâle et des Bédier ont fait justice du mythe barbare. Le mérite de Villari n’en demeure pas moins grand ; il a vu plus tôt qu’eux ce qu’ils ont découvert ensuite. « On a dit souvent, écrit-il, que le respect de la femme et l’idée chrétienne de l’amour sont une création germanique. Ce n’est pourtant que dans les chansons de geste et les romans de la Table Ronde, qui ont reçu en France leur forme définitive, qu’on commence à trouver l’amour élevé au-dessus du simple désir des sens. Et c’est dans l’art et la poésie