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santé de ses buffles, du rendement de la moisson, donnait ses ordres précis avec une autorité devant laquelle chacun s’inclinait. Ce grand seigneur était parvenu à ce degré de puissance par la sorte de passion sauvage qu’il avait vouée à la terre d’Egypte. Comme je lui demandais la raison de son insatiable désir d’acquérir toujours de nouveaux arpents, il me fit cette réponse : « Vous, Européens, vous aimez les théâtres, les courses, la toilette, que sais-je encore ! vous vous plaisez à habiter de somptueuses demeures ; moi, je n’ai qu’un amour, la terre ! » Il semblait, quand il prononçait ces paroles, que le dernier éclat de ses yeux brûlés par le soleil se rallumait devant la vision de son domaine si laborieusement acquis. Ces deux hommes, le fellah et le riche pacha, communiant dans un même culte pour le limon du Nil, comme autrefois les prêtres d’Isis, me renseignèrent mieux que toutes les statistiques sur les causes de la richesse de l’Egypte.

Les touristes qui visitent Le Caire et ses magnifiques mosquées, qui vont, au clair de lune, admirer les tombeaux des kalifes, puis, parcourant la Haute-Egypte, voient défiler sous leurs yeux les prodigieuses pyramides, les ruines, les hypogées gigantesques attestait l’ancienneté et la grandeur de la civilisation égyptienne, s’imaginent qu’ils ont pénétré le mystère de cette civilisation, parce qu’ils ont appris la succession des dynasties dont les représentants momifiés étalent la magnificence dans leurs suaires éclatants. Cependant, ce n’est pas dans ces souvenirs, quelque troublants qu’ils soient, qu’il faut découvrir le sens de l’histoire égyptienne. Le trésor des Pharaons que, depuis des millénaires, les fellahs se- transmettent de générations en générations, n’allez point le chercher dans l’or des fouilles ni sous les hiéroglyphes compliqués des pierres tombales ; il est là, sous vos yeux, toujours aussi précieux qu’il y a quarante siècles, lorsque Khéops faisait construire sa majestueuse nécropole de Gizeh.

Regardez la terre d’Egypte ; voyez « l’onde grasse » du Nil qui s’épanche à travers les hods limoneux sillonnés de canaux et de drains. Contemplez cette population laborieuse, penchée sous un soleil ardent et dont la densité vous étonne, vous comprendrez alors pourquoi l’Egypte fut le premier asile que les hommes se sont plu à habiter. Vous vous expliquerez les raisons pour lesquelles les grands conquérants se sont