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pour la défense et non pour la conquête — bientôt pour la défense contre un Impérialisme de tout autre espèce. Il s’agit non de l’hégémonie anglaise dans le monde, mais de la fraternité anglaise dans le monde. Il s’agit de se reconnaître, de fonder spirituellement les États-Unis britanniques, de ressusciter, de maintenir à travers les Océans le sentiment et le nom de la famille. Il s’agit de l’Alliance entre les frères. Rappelons-nous qu’il est « le poète d’une tribu. »


En Allemagne, c’est par des dissertations métaphysiques, d’histoire et de philologie, par des leçons de professeurs, qu’on a éveillé le rêve d’Empire et de conquête. En Angleterre, pour agir sur les âmes, il fallait des images, une poésie à la fois réaliste et lyrique, de substance toute concrète, que traversent, où se mêlent, en vivantes, émouvantes pulsations, — rythmes, bruits, couleurs, émois, ardeurs, aspirations, — les modes les plus significatifs des choses et les états les plus intenses de l’être intérieur. C’est en ses grands aspects le monde où s’est déployée l’âme anglaisé, et puis c’est elle-même, en ses caractères profonds, en ses réactions propres, que fait apparaître le poète des Sept Mers.

Il dit surtout l’épopée des Anglais, et la mer, champ de leur aventure, leur désir de l’aventure et de la mer. En des mètres où passent tantôt des rythmes lents, inévitables comme des montées et processions de houles, tantôt des tumultes et des fureurs de tempête (the yelling Channel tempest when the siren hoots and roars), tantôt des placidités immenses comme le sommeil de l’élément, en des vers gonflés d’un désir venu du fonds atavique de l’être, il évoque d’un pôle à l’autre les grandes eaux du globe, qui sont le domaine propre de la race, la part qui lui est dévolue, — the Ocean at large our share. Eaux du Nord, blanches entre les glaces, étouffées sous les rideaux de neige, eaux évanouies sous leur propre fumée, eaux grises dont l’onde nue se propage entre les granits, soulevant en silence les algues Et puis les champs lisses, les étendues planes de la Manche (the lineless, level floors) par les crépuscules sans fin de l’été ; le libre Atlantique, sa houle qui se lève, huileuse, avant la tempête ; les torpeurs éblouies de la ligne, et la bleue monotonie des Océans du Sud, où les grands