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voulu qu’amuser les coloniaux de l’Inde. Il ne parle pas encore au vaste monde anglais. Le grand dessous sérieux, le fervent rêve moral, patriotique et quasi religieux qu’il accumule, et que traduiront ses principaux poèmes, ne s’est pas encore révélé.


C’est son voyage de 1889 qui semble l’exciter à sa mission. A vingt-quatre ans, il part pour Londres, où il veut prendre sa mesure, et qu’il regardera avec les mêmes yeux, presque étrangers et qui jugent, que ceux de son Dick Heldar revenant de Haute-Egypte, — des yeux habitués aux grands espaces, à la toute-puissante lumière où la vie et la mort semblent plus amples et plus simples.

Ce voyage achève de lui montrer le monde, et ce qu’y sont, ce qu’y ont fait les hommes de sa race. Route à l’Est cette fois, avec escales à Rangoon, Moulmein, Penang (où il apprend, dans les mess, les clubs, les histoires de la récente guerre birmane), et puis à Singapour, Hong-Kong, — et chaque fois, comme jadis sur la route de l’Ouest, reparaît « le vieux haillon » aux croix de trois couleurs. Il arrive au Japon, où sa langue est la seconde langue : il l’entend d’abord sur les quais de Yokohama, chez les phoquiers de Frisco, de Glascow, de Vancouver, dont il contera de terribles histoires. Et puis, sur un grand navire canadien, il traverse le Pacifique. Coloniaux à bord, fonctionnaires de l’Inde, Écossais de Manille, Américains de Californie, missionnaires de Londres ; et, au fumoir, ces anecdotes qui sont la monnaie de la vie sociale chez les Anglo-Saxons, et supposent l’univers anglo-saxon.

En Amérique, il retrouve cet univers. Sans doute, bien des choses l’y étonnent : le rythme précipité de la vie, une insouciance, un désordre apparents, des âmes tournées vers le dehors et soudain traversées par des, courants d’émotion collective, une inquiétante instabilité nerveuse, un certain cynisme de l’humour, une certaine fanfaronnade, une étrange grandeur de la conception et de l’entreprise, une âpreté générale aux affaires, d’admirables élans d’altruisme enthousiaste, et, suprême contraste avec la roideur britannique, la faculté d’improviser et de s’adapter à tout. Mais, tout de même, ce n’est là qu’une variante de l’humanité anglo-saxonne, comme, par l’effet du climat sec, de conditions analogues de vie, il s’en prépare en Australie, au Cap, au Canada. Une espèce nouvelle, issue de