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canonique dont tous les juges d’Eglise eussent dû être les familiers, Bréhal ramassait des armes, à pleines mains. On lisait au Décret : « Il faut obéir, sans hésiter, à Dieu, dominateur de toute créature, en tout ce qu’il commande ; quiconque agit contre sa conscience édifie pour la géhenne. » Et puis survenaient les docteurs du XIVe siècle, comme Pierre de la Palud, comme Durand de Saint-Pourçain, pour attester que « ne pas acquiescer à une révélation divine est un péché d’infidélité. » Voire même, bien longtemps avant, un docteur qui se nommait Aristote, déclarait : « Ceux que meut un instinct divin doivent le suivre, parce qu’ils sont mus par un principe supérieur à la raison humaine. » Au cours de sa promenade dans cet arsenal si bien fourni, Bréhal, visant Cauchon, lui lançait cette flèche : « Une conscience bien formée, fondée sur une créance bien éprouvée, ne doit pas être déposée à la voix d’un prélat, mais doit être suivie[1]. »

Jeanne avait donc accompli son devoir, tout son devoir : elle avait réalisé, pleinement, la liberté chrétienne de l’âme, par sa fière et fidèle soumission au mandement divin. Derechef, plus tard, au surlendemain du Concile de Trente, un théologien comme Suarès précisera les droits et les devoirs de cette liberté, en expliquant, dans un passage fort opportunément rappelé par le dernier biographe de Jeanne[2], que « toute révélation privée, dès lors qu’elle n’est en rien contraire à la doctrine catholique et qu’elle ne contient rien qui soit indigne de la vraie sagesse, doit être, pour l’âme qui en est favorisée, objet d’un assentiment de foi, et que cette âme est tende de la croire. » Et du haut de la chaire orléanaise, en 1876, l’abbé d’Hulst dira :


En deçà des limites que trace à notre obéissance la divine autorité de l’Église, quel vaste champ reste ouvert aux communications surnaturelles ! Qui donc enchaînera l’action de Dieu ? Qui l’empêchera de se révéler aux humbles, de converser avec les cœurs purs, d’envoyer ses messages aux hommes de désirs ? Sans doute il ne faut pas croire à tout esprit : l’Église nous trace des règles sages, propres à nous préserver des illusions d’un mysticisme frivole. Sous la protection de ses conseils, éprouvons tout, comme le veut l’Apôtre ; mais gardons tout ce qui est bon. Gardons-le, de peur d’enlever aux siècles chrétiens leurs gloires les plus pures, à l’Italie

  1. Belon et Balme, op. cit. p. 96.
  2. Mgr Touchet, La sainte de la patrie, II, p. 322-324.