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suprême, et dont l’autre en revanche y consolidait, en l’éclairant d’un surcroît de lumière, la liberté des âmes.

Car c’était fortifier l’autorité papale, de déclarer, comme le canoniste Leilis, qu’en refusant à Jeanne le droit d’appel, les juges avaient manqué de respect pour le Siège apostolique ; ou d’alléguer, comme Montigny, que l’évêque, vu le caractère ardu de la cause, aurait dû, de son propre mouvement, la soumettre à Rome. Et c’était venger l’autorité papale offensée, que de conclure avec Bréhal : « Je ne vois pas comment Cauchon et ses fauteurs pourraient dûment se justifier d’attentat manifeste contre l’Eglise romaine, et même du crime d’hérésie[1]. »

Mais où trouverait-on, d’autre part, une charte de liberté spirituelle comparable à certaines pages de Bréhal ? Et par liberté, spirituelle nous entendons : liberté pour Dieu d’agir, et, pour l’homme, de lui obéir. En riposte à l’échafaudage de ruses des juges rouennais, en riposte à la prétention qu’ils avaient eue, — se présentant, eux, comme étant l’Eglise, — d’opposer leurs prohibitions aux ordres intérieurs que Jeanne avait reçus de ses voix, les théologiens qui opinèrent dans l’instance de réhabilitation, Bouille et Leilis, Montigny et Basin, Bochard et Berruyer, et surtout Bréhal, proclamèrent l’obligation de conscience qu’avait Jeanne d’obéir aux voix, et le droit même que cette obligation lui créait.

De quel droit Cauchon et ses hommes avaient-ils stigmatisé des voix auxquelles Jeanne, après l’examen des juges de Poitiers, pouvait en sûreté de conscience accorder sa créance ? Bréhal se le demandait ; il lui paraissait que, contre les juges de Rouen, toutes sortes de textes s’insurgeaient. Il faut voir cet inquisiteur mobiliser tous ces textes, dans le huitième chapitre du premier point de la Récapitulation. Un mot de saint Paul les commande tous : « Où est l’esprit du Seigneur, là est la liberté. » Et voici venir, derrière l’Apôtre, saint Thomas d’Aquin, proclamant que « les œuvres de l’homme, conduit par le Saint-Esprit, sont œuvres du Saint-Esprit plutôt que de l’homme, et que dès lors, en tant qu’elles proviennent du Saint-Esprit, elles ne tombent pas sous la loi. » Silence donc à Cauchon : l’Esprit avait parlé, Cauchon devait se taire. Mais dans le Décret lui-même, dans cet immense répertoire

  1. Belon et Balme, op. cit. p. 105,