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Mais en s’engageant dans cette voie, le procès de réhabilitation de Jeanne eût pris l’apparence d’un second procès politique, — conduit, celui-ci, par la France et pour la France. Le voyage que fit à Rouen, vers avril 1452, avec le titre de légat pontifical, le cardinal d’Estouteville, eut pour conséquence une procédure nouvelle : l’enquête faite par Bouillé, et qui n’était qu’un acte de juridiction civile, ne fut dès lors utilisée qu’à titre documentaire. D’Estouteville décida qu’à cause des « bruits qui couraient et de beaucoup d’allégations qui circulaient » sur le procès de Jeanne, une enquête canonique devait s’ouvrir[1].

Il manda de Paris le Dominicain Jean Bréhal, grand inquisiteur de France : du 2 au 9 mai 1452, des témoins furent interrogés. Quinze jours plus tard, sur l’ordre du cardinal, Bréhal et Bouille, dûment réchauffés par un bon vin d’honneur que leur offrait au passage la ville d’Orléans, s’en allaient en Touraine, où le roi musait et s’amusait ; et l’on décidait, d’accord avec lui, la poursuite de l’œuvre. Pour les frais, la cassette royale s’ouvrait.

Jeanne avait été condamnée pour ses apparitions, pour ses prophéties, pour ses prétendus hommages aux mauvais esprits, pour ses habits d’homme, pour son refus de soumission à l’Eglise, pour s’être enfin comportée en relapse. Bréhal, sur tous ces points, étudiait les procès-verbaux, les réponses de Jeanne, et puis demandait, six fois de suite : Que penser de la sentence rendue ? Le cardinal avait amené avec lui à Rouen, pour étudier d’autres affaires, un prélat de la Rote, Théodore de Lellis, et un avocat consistorial, Paul Pontanus : ils furent les premiers à connaître le long Sommaire de Bréhal, et à donner un avis. Pontanus répondit en énumérant toutes les raisons éventuelles de nullité de la sentence et en disant discrètement : « La sagesse des consulteurs suppléera le reste. » Lellis accusa de perfidie les douze articles dans lesquels Cauchon avait prétendu condenser les griefs contre Jeanne. Ce que disait Lellis avait du poids : futur cardinal, il était, dans la Rome d’alors, un canoniste déjà très écouté.

  1. Les mémoires théologiques composés en vue du procès de réhabilitation, et que Quicherat n’a souvent que résumés, ont été édités par M. Lanery d’Arc (Paris, 1889) et longuement analysés dans le tome Ier de l’ouvrage du P. Ayroles. Le guide le plus sûr pour cette histoire est le livre des PP. Belon et Balme : Jean Bréhal, grand inquisiteur de France, et la réhabilitation de Jeanne d’Arc (Paris, 1893).