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au milieu du siècle, la chrétienté, décidément rebelle à toute idée de division, eut pris en « détestation » le Concile de Bâle et le nom même de Concile, il fut sans doute plus fâcheux qu’avantageux, pour l’Angleterre, d’avoir employé comme instruments, pour la besogne judiciaire de Rouen, des théologiens qui, dans la suite, avaient émigré vers un antipape[1].


XI. — L’INTERVENTION DE LA PAPAUTE : JEANNE REHABILITEE

Les Anglais firent faire contre Jeanne un procès par certaines personnes à ce commises et disputées par eux. En faisant lequel procès, ils firent et commirent plusieurs fautes et abus. Et tellement que, moyennant le dit procès et la grande haine que nos ennemis avaient contre elle, ils la firent mourir iniquement et contre raison, très cruellement.


Ainsi s’exprimait Charles VII, le 15 février 1450, lorsque, rentré victorieusement dans Rouen, il donnait commission à Guillaume Rouillé, doyen de Noyon, d’informer sur la cause de Jeanne. Bouille se transportait à Rouen, entendait sept témoins, concluait que dans son ensemble le procès croulait. Aux yeux de ce prêtre, soutenir l’innocence de Jeanne devenait une « œuvre de piété : » car il y allait de « l’honneur et de la gloire du Roi des Rois, qui défend la cause des innocents. » Mais c’était aussi, ajoutait-il, une « œuvre de salut public : » car l’enjeu de ce débat devait être « l’exaltation du roi des Francs ou de la maison de France, dont on ne lit pas qu’elle ait jamais accordé sa faveur aux hérétiques ou qu’elle leur ait adhéré d’une façon quelconque. » Nous sommes à l’époque où la chancellerie papale et les autres chancelleries de l’univers s’accordaient pour laisser au roi de France, comme un privilège, le titre de roi très chrétien[2] : ce titre comportait que jamais il n’eût soutenu d’hérétiques, que jamais des hérétiques ne l’eussent soutenu : laver la Pucelle de cette tâche serait donc laver l’honneur même du roi.

  1. C’est là, croyons-nous, tout ce que l’histoire doit conserver de certaines conclusions trop absolues du P. Ayroles, d’après lesquelles les juges de Jeanne auraient été des schismatiques. Au moment même du procès, aucun n’était tel ; dans la suite, plusieurs le furent. La brochure, ci-dessus mentionnée, du P. Denifle et de M. Châtelain, a prouvé qu’on ne peut établir aucun rapport entre le procès de Jeanne et le prétendu schisme des professeurs.
  2. Noël Valois, Le roi très chrétien (dans La France chrétienne dans l’histoire p. 314-327. Paris, 1896).