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Même à Bâle, où régnait durant le Concile l’influence des universitaires parisiens, il ne semble pas que le jugement de Rouen ait obtenu l’ascendant d’un verdict d’Eglise : voyez la page qu’écrit sur la Pucelle, dans ce couvent bâlois dont il était le supérieur, l’inquisiteur Jean Nider. Il avait lu la lettre du roi d’Angleterre aux souverains, il avait causé avec le licencié parisien Nicolas Lamy : cette lecture, ces causeries, le rendaient très malveillant pour Jeanne, et l’inclinaient à la réputer sorcière ; néanmoins, il déclare qu’il ne fait que rapporter les bruits publics, qu’il suspend son jugement. On dirait qu’il pressent la nécessité d’être prudent…

Mais en fait, Jeanne, protégée de Dieu, n’avait-elle pas échappé au bûcher ? Jeanne, innocente, n’était-elle pas toujours vivante ? En 1436, un certain nombre de gens, en France, inclinèrent à le penser. Nous possédons le texte d’un pari fait devant notaire par deux bourgeois d’Arles, dont l’un affirmait que Jeanne avait été brûlée, et l’autre qu’elle vivait. Trois ans durant, une certaine Jeanne des Armoises exploita ces dispositions de l’opinion : deux frères de Jeanne, des bourgeois d’Orléans, la prirent pour la Pucelle, cependant que d’autres bourgeois continuaient de célébrer, à l’église, l’anniversaire de « feue Jehanne. » Mais les uns et les autres, ceux qui solennellement évoquaient devant les autels le nom de Jeanne, et ceux qui la croyaient miraculeusement soustraite aux flammes anglaises, s’accordaient à la considérer toujours, en dépit des Anglais, comme la Pucelle « digne de Dieu. »

Elle avait apporté à Charles VII, non seulement un appui matériel, mais un appui moral ; par son aspect même d’envoyée divine, elle avait convaincu la chrétienté que Charles avait pour lui le droit ; elle était venue ranger aux côtés du Roi la force de Dieu et la justice de Dieu. Les Anglais l’avaient fait brûler, avec des notes d’infamie, pour qu’enfin Français et étrangers cessassent d’attribuer à Charles cette alliance que la Pucelle avait prétendu symboliser, l’alliance de Dieu. Ils avaient voulu que le nom même de Jeanne, stigmatisé, couvrit Charles VII de honte, au lieu de lui imprimer un élan.

Mais ils virent, à la longue, qu’ils avaient échoué. En 1449, dans un Discours historique dont l’auteur l’engageait à la conquête de la Normandie, Charles VII pouvait lire : « Le bras de Dieu, par le mystère de la vierge envoyée d’en haut, replaça