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s’avançait, timide, hésitant encore à accepter l’union des Eglises ; le loup hussite, menaçant, voulait faire effraction. C’étaient de grosses préoccupations pour un pontife, qui, d’autre part, allait être menacé dans son pouvoir spirituel par le concile de Bâle, dans son pouvoir temporel par le duc de Milan. Probablement il classa, d’un geste rapide, la lettre où l’université parisienne lui parlait du procès rouennais ; et l’Angleterre, quelque temps durant, put être fière de ces astucieux protocoles qui semblaient enregistrer à jamais, pour les puissants du monde et pour l’histoire, la condamnation de Jeanne par l’autorité spirituelle.


X. — RÉSISTANCES DE L’OPINION CHRÉTIENNE AU VERDICT ROUENNAIS

Et Jehanne la bonne Lorraine,
Qu’Anglais brûlèrent à Rouen,

chantera bientôt Villon : il dira ce que savait, ce que pensait, le commun de l’opinion chrétienne. Ce sont les « barbares Anglais » qui ont fait cela, écrivait de Bruges, au lendemain du verdict, une plume vénitienne : « Dieu, selon son juste pouvoir, en tirera aux yeux de tous un très grand châtiment. » — « Les Anglais, notait le greffier de la Rochelle, firent brûler Jeanne à Rouen sur fausses accusations. » — « Les Anglais, consignait le chroniqueur du Mont Saint-Michel, arrêtèrent la Pucelle, qu’ils avaient achetée des Bourguignons. »

Et dans les lointains couvents de l’étranger, où d’autres chroniques s’écrivaient, les mêmes échos accusateurs retentissaient contre les Anglais : Hermann Corner, le dominicain allemand de Lubeck, Walter Bower, le moine écossais de Saint-Colomb, s’en faisaient les greffiers[1]. Martin Le Franc, le prévôt de la cathédrale de Lausanne, interpellant en 1440, dans son Champion des Dames, l’ « adversaire au faux visage, » qui calomniait Jeanne, lui rappelait que déjà Jésus et ses « martyrs bénis » étaient « morts honteusement : »


Guère ne font tes arguments
Contre la Pucelle innocente,
Ou que, des secrets jugements
De Dieu sur elle, pis on sente.

  1. Ayroles, op. cit. IV, p. 280-282 et 297-298.