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été laissée dans la prison des hommes, sous la garde des hommes, aurait-elle été acculée à reprendre des vêtements masculins, et à devenir ainsi « relapse ? » On aurait dû tenir compte de son appel au pape : il lui fut répondu qu’on ne pouvait « aller chercher l’avis de Notre Saint Père si loin. » Les universitaires, cependant, savaient prendre le chemin de Home, si long fût-il, pour obtenir des bénéfices ou faire sévir le pape contre quelque membre rebelle de leur corporation[1].

Non moins que les règlements canoniques, les règles élémentaires de toute justice humaine furent violées. On s’abstint de mentionner, dans le procès, les témoignages favorables à Jeanne. On présenta comme extraits de ses aveux soixante-dix articles accusateurs, dont beaucoup avaient soulevé ses protestations expresses ; on les ramassa plus tard en douze articles, qu’on ne prit même pas la peine de lui lire, et qui, à Paris, servirent de base au jugement des universitaires. On machina deux cédules successives dites d’abjuration, dont la première, qui lui fut lue, était inoffensive et dont la seconde, qui lui fut présentée sans lui être lue, était le reniement de toute sa vie ; et l’on ne reproduisit, dans le procès, que la seconde[2]. Et plus odieux encore, peut-être, que ces criminelles manœuvres, furent les interrogatoires, où l’on vit se heurter contre une foi limpide une science perfide, et contre une conscience claire une dialectique volontairement obscure.

Le bûcher paracheva ces infamies ; et de ses flammes mêmes surgirent déjà certains repentirs. Manchon, le notaire, achetait un bréviaire dans lequel il priait pour Jeanne. Alespée, l’assesseur, souhaitait que « son âme fût où était celle de Jeanne. » Thérage, le bourreau, allait dire aux Frères Prêcheurs sa « merveilleuse repentance et terrible contrition. » Tressart, le secrétaire du roi d’Angleterre, criait : « Nous sommes perdus pour avoir brûlé cette sainte ! » Mais les politiques à Rouen, les universitaires à Paris, songeaient, eux, à

  1. Denifle et Châtelain, op. cit. p. 13.
  2. Mgr Touchet nous parait être fort ingénieusement parvenu, d’une part, à reconstituer la première cédule, celle qui avait « la longueur d’un Pater », et, d’autre part, à établir que la seconde cédule, très longue, présentée à Jeanne par Calot sans lui être lue, signée par elle d’un rond » en manière de dérision, » et insérée au procès par Cauchon, avait été, dès le matin, préparée par Nicolas de Vendères, un des adversaires les plus acharnés de Jeanne (La Sainte de la patrie, II, p. 408-417).