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qu’avec l’autorisation du grand inquisiteur de Paris, et garda toujours une attitude assez passive, « pauvre chien mouillé, battu, effacé dans un coin[1]. » A côté de ce comparse, qui craignait d’être mis à mort s’il ne procédait pas comme les Anglais voulaient, et qui ne fut malfaisant que par lâcheté, siégeaient, entre autres assesseurs, six docteurs de l’université de Paris, qui furent, eux, malfaisants par système. Entre eux et Cauchon, l’accord était spontané : l’Université l’avait, en 1420, officiellement recommandé aux gens de Beauvais comme un « pasteur bon et sage[2], » et depuis 1423 il était le « conservateur des privilèges » de cette illustre corporation.

L’Angleterre, d’ailleurs, sut dénicher trois belles prébendes de chanoines pour trois des universitaires qui assistaient Cauchon. Elle régnait sur le tribunal par la générosité, elle régnait aussi par la peur. Un clerc de Normandie, maître Jean Lohier, ayant contesté la procédure suivie, fut accueilli par de telles colères, que son courage lui fit peur, et qu’il quitta Rouen. Pour un délit du même genre, un maître ès arts, Nicolas de Houppeville, fut jeté au cachot et menacé d’être banni, d’être noyé. Un évêque, Jean de Saint-Avit, ayant opiné qu’il fallait consulter le pape, fut écarté des délibérations. Et trois mois après le bûcher, un malheureux frère lai du couvent des Dominicains, pour avoir dit que les juges avaient bien mal fait de condamner cette pauvre Pucelle, sera jeté au cachot et mis au pain et à l’eau, en vertu d’un jugement de Cauchon. Voilà dans quelle atmosphère de terreur se déroulait le procès ; et les multiples violations du droit canonique y multipliaient les causes de nullité[3].


IX. — LE CRIME JUDICIAIRE DE ROUEN ; L’EXPLOITATION DU CRIME

On voulait un « beau procès, » qui eût les dehors d’un procès de foi, et qui en eût le prestige ; et l’on contrevint, cependant, aux règles de ces procès. On aurait dû mettre Jeanne, en vertu des lois ecclésiastiques, dans une prison spéciale pour femmes : il y en avait une, à l’archevêché de Rouen. Si elle n’avait pas

  1. Mgr Touchet, La sainte de la patrie, II, p. 177 (Paris, 1920).
  2. Noël Valois, Histoire de la Pragmatique Sanction, p. VII.
  3. Beaurepaire : Recherches sur la condamnation de Jeanne d’Arc (Rouen, 1869). — Loth : Semaine religieuse du diocèse de Rouen, 15, 22 et 29 mai 1886.