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attendant, en bien fortes et dures prisons, sans considérer qu’ils n’avaient en rien failli, car la défense leur était permise, de droit naturel, civil et canonique. Mais cet évêque disait qu’ils étaient criminels de lèse-majesté et qu’on les devait dégrader.


Un magistrat d’Eglise qui met son astuce et sa juridiction au service de l’Angleterre, et qui poursuit avec un appareil canonique tout ce qui lèse la majesté anglaise : voilà Cauchon[1]. Il fut, vingt ans durant, le grand agent politique de l’Angleterre. Lorsque, en 1425 et 1433, l’Angleterre a besoin d’une influence pour amener le Parlement de Paris à enregistrer certaines ébauches de concordat entre elle et la papauté, elle emploie Cauchon, qui fait capituler le Parlement et qui gagne, à ce succès, les félicitations du pape Martin V[2]. Et lorsque, en 1428, elle recrute des commissaires pour lever en Champagne des subsides, l’un d’eux s’appelle Cauchon[3]. Elle l’emploie comme diplomate, comme percepteur, comme juge ; elle l’excuse, en 1432, de son absence au concile de Bâle, en informant le concile, officiellement, qu’il est retenu par ses fonctions de conseiller du Roi[4].

En cette année 1430 où Jeanne allait devenir sa justiciable, les gens de Beauvais s’étaient, à l’approche de Jeanne, soulevés pour la France ; et Cauchon, fugitif de sa ville épiscopale, dévorait l’affront. « L’évêque est ennemi, » disait-on ; et l’on détruisait ses jardins, on enlevait le plomb de ses gouttières, on saccageait ses vignes[5]. Cauchon, faisant la besogne du roi d’Angleterre avec l’espoir de quelque bel évêché, cherchera peut-être une revanche, aussi, pour ses mésaventures de Beauvais.

Le terrain juridique aménagé dès la fin de mai par les universitaires parisiens fut tout de suite celui qu’il adopta : on fit un procès à la foi même de Jeanne. Voici, derrière Cauchon, un vice-inquisiteur, Le Maistre : tardivement convoqué, doutant de sa compétence, ce Frère Prêcheur ne consentit à siéger

  1. Quant à la thèse de Siméon Luce d’après laquelle, dès le concile de Constance, Cauchon aurait scellé avec l’ordre des Frères-Prêcheurs une alliance qui devait aboutir à la condamnation de Jeanne, elle n’a pas résisté aux objections du P. Chapotin : La Guerre de Cent ans, Jeanne d’Arc et les Dominicains. (Paris, 1889.)
  2. Noël Valois, Histoire de la Pragmatique Sanction de Bourges, pp. XXIX, XXX, LIII et 58. (Paris, 1907.)
  3. Siméon Luce, op. cit. p. 163.
  4. Noël Valois, Le Pape et le Concile (1418-1450), I, p. 201. (Paris, 1909.)
  5. Noël Valois, Histoire de la Pragmatique Sanction de Bourges, p. 148.