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qu’au témoignage d’une chronique bourguignonne les « simples et folles gens, parmi France, » appelaient l’Angélique[1], — conciliait sous les regards du monde, en les incarnant elle-même toutes deux, en les corrigeant et en les enrichissant l’une par l’autre, ces deux idées dont l’une revendiquait son droit à naître, et l’autre son droit à ne pas mourir[2].


VI. — UN MOUVEMENT DE PRIÈRES POUR JEANNE PRISONNIÈRE

Devant Compiègne, le 23 mai 1430, Jeanne fut désarmée, faite prisonnière. Le service de la France, celui du Christ, furent désormais privés, non de son cœur, mais de son bras. Le Duc de Bourgogne, tout de suite, prévint Henri VI, l’enfant-roi[3] ; il écrivit, aussi, aux habitants de Saint-Quentin, pour leur remontrer « l’erreur et folle créance de tous ceux qui se sont rendus enclins et favorables aux faits de cette femme. » Le duc marquait ainsi l’esprit du procès qui devait bientôt se dérouler : on tourmentera Jeanne, on la brûlera, pour convaincre de « folle créance » ces Français qui pensaient, avec l’aide de Jeanne, avoir celle de Dieu.

A Embrun, Jacques Gelu vit très net : il supplia Charles, dans une lettre, de ne rien épargner pour le rachat de la Pucelle, et de faire ordonner partout des prières[4]. Pour qu’un tel malheur eût pu se produire, il fallait, d’après Gelu, que le roi ou le peuple eût commis envers Dieu quelque manquement. Des prières s’inaugurèrent : à Tours, nu-pieds, chanoines et prêtres processionnèrent pour la délivrance de Jeanne[5]. Toute une messe s’improvisa, dont la collecte, et l’offertoire, et la postcommunion, imploraient de Dieu la liberté de Jeanne. Un évangéliaire de la bibliothèque de Grenoble nous a conservé ces suppliants oremus :


O Dieu tout-puissant et éternel, qui par votre sainte et ineffable clémence et par la merveilleuse vertu de votre bras, avez délégué la

  1. Livre des trahisons de France envers la maison de Bourgogne, publié par Kervyn de Lettenhove. (Ayroles, op. cit. III, p. 543-544.)
  2. Voir notre livre : Les nations apôtres, vieille France, jeune Allemagne, p. 19-29. (Paris, 1903.)
  3. Le texte de la lettre a été retrouvé par le P. Herbert Thurston (Études, 20 avril 1909, p. 202-205).
  4. Ayroles, op. cit. I, p. 79L
  5. Ayroles, op. cit. IV, p. 117.