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devraient se vêtir d’étoffe grise avec la petite croix cousue dessus[1]. Et d’avance, Christine chantait :


Des Sarrasins fera essart
En conquérant la Sainte Terre.
Là mènera Charles, que Dieu garde !


Mais une autre croisade, peut-être, précéderait celle de Palestine ; et Christine encore versifiait :


Les mécréants dont on devise
Et les hérites de vie horde
Détruira…


Ces hérétiques (hérites), c’étaient les Hussites ; et quelle que soit l’authenticité de la lettre de menaces adressée par Jeanne aux Hussites sous la signature de l’aumônier Paquerel, il est un fait certain, c’est qu’en 1434, dans une pièce qui se jouera à Ratisbonne et dont le sujet sera la guerre de Bohême, Jeanne d’Arc aura un rôle[2].

Au-delà d’Orléans, au-delà de Reims, on ouvrait à Jeanne la route de Prague, la route de Jérusalem. Elle est « la gloire, non pas seulement de la France, mais de la chrétienté tout entière, » disait Alain Charlier. Les Français du XVe siècle savaient, avec une fierté angoissée, la place qu’avait tenue leur pays dans le passé de la chrétienté, il leur apparaissait que l’héroïne qui sauvait la France allait en même temps renouer la chaîne de ses destinées historiques. Entre Jeanne et eux, il y avait accord, pour concerter à l’avance d’autres chevauchées, dans lesquelles la chrétienté, menée par la France, et par Jeanne au nom de la France, recommencerait de servir Dieu.

En ce temps-là, dans beaucoup d’âmes, s’entreheurtaient deux idées que l’allure même de l’histoire semblait à certaines heures mettre en conflit : l’idée de nationalité et l’idée de chrétienté. Lorsque des rois et des papes étaient en désaccord, c’étaient elles, au fond, qui bataillaient, et l’heure était proche où, dans la ville de Baie, elles allaient prendre comme champ clos une salle de concile. Mais Jeanne d’Arc, — cette Jeanne

  1. Chronique d’Antonio Morosini, éd. Lefèvre-Pontalis et Dorez, III, p. 65. — Voir les commentaires de M. Lefèvre-Pontalis. III, p. 64, n. 2, et p. 82, n. 2.
  2. Voir notre livre : Jeanne d’Arc devant l’opinion allemande, p. 19 (Paris, 1907).