Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/849

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les populations rhénanes, très excitées, obsédaient les prêtres, pour savoir ce qu’était cette Jeanne, qui prédisait l’avenir. Un clerc de Spire, de juin à septembre 1429, publiait en deux cahiers successifs les réponses qu’il faisait à l’importunité des questionneurs. Son information manquait évidemment de sûreté : ne racontait-il pas qu’un Prémontré, un an plus tôt, lui avait parlé de Jeanne comme d’une assidue contemplatrice des astres ? Or un an plus tôt, hors de Domrémy, qui donc connaissait Jeanne et qui donc parlait d’elle ? Mais les jugements du clerc valaient mieux que ses racontars : il estimait que Jeanne avait trop de vertus pour être magicienne ; qu’elle faisait bien de se vêtir en homme, et qu’il était convenable que le royaume de France, perdu par une femme, — l’Allemande Isabeau, — fût relevé par une femme[1].

Jusque dans Rome, les esprits étaient en branle. Au début de 1429, un clerc français de l’entourage du pape Martin V avait achevé la rédaction d’une chronique intitulée le Bréviaire historique ; et dans les dernières pages, tenace en ses patriotiques espérances, il avait écrit :


Le très chrétien prince, le roi Charles, a beau être abandonné par les siens ; le ciel remettra entre ses mains l’étendard de la victoire, pourvu cependant qu’il s’humilie et qu’il l’implore avec un cœur pur.


Au cours de l’été, dans l’un des manuscrits de son Bréviaire, — celui que conserve |la bibliothèque Vaticane[2], — ce clerc ajoutait un post-scriptum sur « un événement grave, et considérable, et inouï, qui n’avait pas eu son pareil depuis l’origine du monde : » la délivrance d’Orléans par une Pucelle, qui égalait ou même dépassait Debora, Judith et Penthésilée, et qui accomplissait « des actes plus divins qu’humains. » Silence aux jaloux, qui parlaient ici de superstitions, de sortilèges ! Notre clerc savait la différence entre les « miracles opérés par les bons » et les « prodiges des au Malin. » Cette Jeanne était vertueuse, pieuse ; et puis « elle combat, continuait-il, pour une cause utile et juste, puisque c’est pour pacifier le royaume de France, ce qui entraînera le relèvement de la foi, qui, à en juger par l’expérience des siècles passés, n’aurait pas tant

  1. Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, I, p. 69-75.
  2. Léopold Delisle, Nouveau témoignage relatif à la mission de Jeanne d’Arc (Bibliothèque de l’École des Chartes, XLVI, 1885, p. 649-668).