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la quitter jusqu’au jour où elle tomba captive. Spectateur quotidien, il put lire, à l’œil nu, le beau livre qu’était son âme ; confesseur, elle l’aidait elle-même à lire plus avant, entre les lignes. Or, il déclarera plus tard, devant les juges de la réhabilitation, qu’elle pratiquait les bonnes œuvres et était pleine de toutes les vertus, que, blessée à l’épaule, elle refusait, de crainte que ce ne fût une offense à Dieu, d’être guérie pair incantation ; qu’elle avait une profonde compassion pour tous les pauvres soldats, fussent-ils Anglais ; et qu’elle était, à ses yeux, « envoyée de Dieu. » Ainsi déposera cet aumônier militaire, et sa parole justifiera les enquêteurs de Poitiers.


III. — COMMENTAIRES D’ÉGLISE SUR LA DÉLIVRANCE D’ORLÉANS

Jeanne donna, devant Orléans, le signe qu’elle avait promis : le 8 mai 1429, la ville fut délivrée. Gelu, dans son archevêché des Alpes, conclut tout de suite que cette « chétive bergère » était l’instrument de la sagesse divine, et que le dauphin devait l’écouter. Des interpellateurs surgissaient, demandant à Dieu pourquoi il se servait d’une femme et non point d’un ange, et pourquoi, au lieu d’agir tout d’un coup, il agissait progressivement. Gelu remettait ces curieux à leur place, dans un traité latin qu’il dédiait à Charles VII. A ses yeux, plus de doute possible : la justice de la cause du Roi, la foi de ses prédécesseurs, toujours libérée de toute hérésie, les sanglots des opprimés, l’iniquité de la cause anglaise, la cruauté de la nation anglaise, expliquaient le geste de Dieu, qui, pour sauver la France, dépêchait Jeanne. La carrière de cette Pucelle, observait Gélu, « est celle d’une guerrière, et cependant rien de cruel ; elle est miséricordieuse envers tous ceux qui ont recours au Roi, envers les ennemis qui veulent rentrer dans leur pays. » Et l’archevêque d’Embrun, reprenant la vieille théorie canonique de la juste guerre, montrait comment les actes de Jeanne s’y conformaient.

Donc Charles devait la suivre, ce qui ne voulait pas dire que, pour le détail des opérations, il ne dût pas consulter la prudence humaine ; mais « c’est le conseil de la Pucelle qui devait être demandé et cherché principalement[1]. »

  1. Le traité latin de Gelu est publié au tome III de la précieuse collection de Jules Quicherat : Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc. D’une façon générale, tous les textes ou détails pour lesquels nous jugeons inutiles des références sont empruntés à ce recueil..