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le Martel, l’Arabe reculer ; et c’est grâce à la victoire de Poitiers que l’Europe, barricadée contre l’Islam, avait pu s’appeler la chrétienté. Au XVe siècle, le tête-à-tête entre une paysanne et quelques hommes d’Eglise, dans une maison de Poitiers, authentiquait la mission de la Pucelle : avec leur assentiment, elle allait agir pour le roi de France, « de par le roi du ciel ; » et ce fut en vertu de la décision ecclésiastique de Poitiers que Charles VII chargea Jeanne du salut de la France. Après la notion d’un Homme-Dieu, après la notion de chrétienté et l’existence même de la chrétienté, Poitiers, à la suite du témoignage rendu par quelques docteurs à la Pucelle, allait sauver la notion même de France et l’existence même de la France.

« D’azur, à la colombe d’argent, tenant en son bec une banderolle où étaient écrits ces mots : De par le Roi du ciel, » telles furent, d’après les informations consignées en son Livre noir par le greffier municipal de La Rochelle, les armes personnelles adoptées par Jeanne[1] : elles exprimaient la merveilleuse investiture à laquelle venait d’adhérer la commission poitevine. Puisqu’elle marchait de par Dieu, elle voulait que devant elle Dieu marchât : tisserands et peintres, à Tours, furent vite au travail. Sur son pennon, qui ralliait l’état-major, l’Annonciation figura. Sur sa bannière, autour de laquelle accouraient, pour les exercices religieux, prêtres et soldats, apparaissait Jésus crucifié. Quant à l’étendard, destiné à rallier l’armée tout entière, et dont Jeanne concerta les détails d’après les indications de ses voix, nous en avons désormais au Musée johannique d’Orléans, grâce aux scrupuleuses recherches de M. le docteur Garsonnin, une reconstitution sérieuse : sur un fond de toile blanche, brodée de soie et décorée de fleurs de lis, Jésus trône dans l’attitude de majesté ; à ses côtés, des anges s’agenouillent ; à droite, on lit l’inscription Jhesus-Maria ; au revers, un semis de fleurs de lis[2].

Jésus annoncé, Jésus en croix, Jésus triomphant, conduisait ainsi la petite armée. Et dès le début de la chevauchée, pour se confesser presque chaque jour, pour communier souvent et se faire chanter la messe, Jeanne eut près d’elle un Hermite de Saint-Augustin, Jean Paquerel : il ne devait plus

  1. Quicherat, Revue historique, juillet-août 1877, p. 327-344.
  2. Garsonnin, Essai de reconstitution de l’étendard de Jeanne d’Arc (Orléans, 1909).