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appris, — combien elle était pure, et combien pieuse. Alors parmi ces juges qui d’abord, pour la tâter, avaient voulu la faire douter d’elle-même, il s’en trouva pour rechercher des prophéties qui d’avance la justifiassent, et ils en découvrirent. Maître Jean Erault révélait qu’une certaine recluse d’Avignon, Marie Robine, avait, à la fin du XIVe siècle, prophétisé les futurs exploits d’une Pucelle[1]. Et d’autres gens doctes remontaient plus haut encore, jusqu’au prophétisme breton[2] Ainsi se dessinait une sorte de préhistoire surnaturelle, faisant avenue vers la vocation de Jeanne.

Mais enfin, cette vocation, qu’était-elle et que valait-elle ? D’heure en heure, le péril de la France s’aggravait ; les théologiens devaient conclure. Ils conclurent qu’ « attendue la nécessité de lui et de son royaume, » Charles VII ne devait point « débouter ni déjeter la Pucelle. » L’Écriture ordonnait qu’elle fût éprouvée par deux méthodes : que « par prudence humaine » on s’enquît de sa vie, et que « par dévote oraison » l’on requît des signes. Or il résultait, des enquêtes, qu’ « en elle, on ne trouvait point de mal, fors que bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse ; et de sa naissance et de sa vie, plusieurs choses merveilleuses étaient citées comme vraies. » Quant aux signes, on lui en avait demandé, et elle avait répondu qu’elle « démontrerait signe divin devant Orléans. » En conséquence, les théologiens décidaient : « Le Roi ne la doit point empêcher d’aller à Orléans avec ses gens d’armes, mais la doit faire conduire honnêtement, en espérant en Dieu, car le douter ou délaisser sans apparence de mal serait répugner au Saint-Esprit et se rendre indigne de l’aide de Dieu. »

Pour la troisième fois en mille ans, la cité de Poitiers venait de jouer un rôle décisif dans l’histoire universelle. Au ive siècle, Poitiers, ville épiscopale de saint Hilaire, avait été le quartier général de l’orthodoxie occidentale contre l’arianisme ; et c’est parce que la croyance poitevine avait vaincu, que le monde chrétien avait continué de croire que Jésus était Dieu. Au vin8 siècle, les campagnes avoisinant Poitiers avaient vu, devant

  1. Voir Noël Valois, Jeanne d’Arc et les prophéties de Marie Robine (Mélanges Paul Fabre, p. 452-463. Paris, 1902).
  2. Sur la théorie de M. Anatole France, induisant, de ces évocations de prophéties, que Jeanne aurait été comme « suggestionnée » par des clercs, voir l’article de M. Doumic dans la Revue du 15 avril 1908, et les discussions historiques d’Achille Luchaire (Grande Revue, 25 mars 1908).