Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/837

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aucune sorte. La bonté des résultats leur suffit. Personne n’aura mis plus strictement en pratique la vieille maxime que Flaubert avait faite sienne : « Cache ta vie ! » Eux, ils vont plus loin : ils cachent leurs bienfaits.

Robert de la Sizeranne voudrait n’être connu que comme l’auteur de quelques beaux livres. Et encore cela lui est égal. Il estime que le plaisir de les avoir écrits à peu près tels qu’il les rêva est une récompense plus que suffisante. Avec de tels sentiments on risque fort d’être oublié par les Académies comme par les distributeurs de décorations. Mais on a le droit de se dire quelqu’un, quand on a rendu réellement un cerveau à la critique d’art, qui, depuis Fromentin, n’en avait plus, quand on a fondé une sorte d’esthétique nationale, munie d’idées, défendue contre les contagions étrangères, regardant de haut les charlatanismes et les déliquescences des exploiteurs et des malades de l’art, — et quand enfin on joint à cela un style personnel, à la fois souple et fort, coloré, plastique, traversé de perpétuelles suggestions intellectuelles, quand on est, en un mot, un écrivain de race. Si dédaigneux que l’on soit du succès et des applaudissements vulgaires, cela finit bien par se savoir. On a pour soi non pas seulement l’élite de son pays, l’estime de ses pairs, les seuls bons juges que l’on doive accepter, mais on voit venir vers son œuvre l’élranger lui-même. Il arrive assez souvent que l’étranger, dont le jugement est plus libre, moins faussé par l’injuste opinion des coteries locales, accorde à l’émiuent écrivain encore à demi inconnu de ses compatriotes, une consécration qu’on ne lui accordera que tardivement dans son pays d’origine.

Au mois de septembre de l’année 1905, un Congrès artistique se réunit à Venise. Tout ce qui compte, dans toutes les parties du monde, comme critiques, esthéticiens, artistes illustres, collectionneurs et amateurs de belles choses, toute une foule fervente était accourue dans la vieille cité des Doges. Afin de mieux célébrer Venise et l’art, on décida qu’une séance solennelle serait consacrée à la glorification de Ruskin, l’homme qui a le mieux parlé de Venise, de l’Art, de la Beauté. Et pour trouver des accents à la hauteur d’un tel sujet, la municipalité de Venise résolut de s’adresser à un orateur extraordinaire et de lui demander son concours.

Le jeudi 21 septembre. Leurs Majestés, le Roi et la Reine