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Eh bien ! ce thé écossais, ce thé pontifical, sentimental et gastronomique, je l’ai vu en Riveria. J’y ai assisté cent fois. Il n’y manquait que la présence du grand-prêtre. Théières de nickel ou d’argent, napperons et petits gâteaux, touffes d’œillets ou de roses dans des vases, et, par les baies ouvertes d’une loggia vénitienne ou florentine, un coin de mer où passent des voiles orangées, un bout d’un jardin avec une pergola en perspective, ou une fausse colonne se détachant sur le bleu tendre du ciel, — comme tout cela est gentil, reluisant, bien ordonné, fait pour réjouir des imaginations bourgeoises qui ont peur des réalités offensantes ou importunes !…

Il va sans dire que Robert de la Sizeranne n’a qu’un regard condescendant pour cet innocent décor. Par delà les jardins de villas et d’hôtels, il voit la grande nature harmonieuse, les grands paysages classiques de l’Esterel et des Alpes-Maritimes, les féeries lumineuses de la Méditerranée à toutes les heures du jour. Il vit de préférence à Hyères, parce que la nature y est moins gâtée qu’ailleurs par les jardiniers et les architectes que l’aspect du pays est plus provençal qu’italien, et qu’il y retrouve ainsi, avec une vie plus tranquille, la simplicité et la frugalité provinciales. Comme pour M. Paul Bourget et quelques autres, cette terre de lumière et de joie lui est d’abord le plus, confortable des cabinets de travail.


Mais j’imagine que M. de la Sizeranne travaille beaucoup mieux encore dans sa maison familiale de Tain, où il lui arrive de disparaître et de s’enfermer pendant des mois entiers. Quand il n’est pas sur la côte provençale pour se remettre dans l’atmosphère de ses chers artistes italiens, ou à Paris pour faire des recherches dans les bibliothèques, pour visiter les musées et les expositions de peinture, il est à Tain, pour écrire, se recueillir, s’occuper de ses affaires et de ses gens. Ce propriétaire rural s’astreint religieusement à la résidence.

Pour lui, ce séjour prolongé à la campagne est d’abord une reprise de contact avec la vraie nature, — une nature autre que celle qui est transposée dans l’art, ou travaillée et déformée par l’industrie ou l’esthétique des hôteliers, — et aussi avec tout un ordre de réalités que les gens des villes ont à peu près perdues de vue. Faut-il s’étonner après cela que l’auteur